« Grande Démission », « Grande Flemme » ?  Qu’en penser vraiment ?


Comprendre le renouveau des formes d’engagement au travail.

Eric Mellet et Philippe Pierre

Quatre billets pour comprendre et agir !

 

Avec Philippe Pierre, nos actions de formation et de coaching ainsi que nos partages d'expérience réguliers, nous ont révélé à quel point la question de la place réelle du travail pour jeunes et moins jeunes était au coeur des préoccupations de nos clients. Que pointaient sans cesse de fortes interrogations sur une quête de sens au travail, une supposée baisse tendancielle de motivation, et plus largement, un renouveau des formes d’engagement dans la sphère du travail.

Nous serions à un moment charnière, à un tournant franchi. De 10,3 % de taux de chômage en 2015, au sens du BIT, nous sommes passés à 7,3 % de la population active fin 2022. En moyenne, une offre d’emploi attire désormais moins d’un candidat alors qu’ils étaient 2,60 à se manifester en 2021. Ces chiffres varient du simple au triple selon les secteurs. La branche de la santé attire, par exemple, une moyenne d’à peine 0,4 candidat par offre ! Plus de 4000 postes de professeurs étaient restés non pourvus en juillet 2022. Manquera-t-on, à nouveau, de candidates et candidats à la rentrée 2023 ?

La « désertion » vient toucher des professions cruciales pour le simple fonctionnement quotidien de notre société.

Alors que le travail a, pour la plupart d'entre nous, constitué le socle, voire le sens majeur de l'existence, il semble ne pas en être de même pour des personnes qui ont envie d’avoir plusieurs vies professionnelles à vivre en même temps ou de « sortir du système ».

Aussi, c'est à travers quatre billets que nous nous proposons de tenter un décryptage des dynamiques à l'œuvre et que nous conclurons par la force de la différence, chère à Norbert Alter, de celles et ceux que nous nommons « déviantes et déviants positifs ».

 

Pour cela, nous croiserons regards et expériences issus de nos formations, nos conférences, nos enseignements universitaires ou nos coachings et de quatre champs disciplinaires :

  • Sociologie de l’entreprise
  • Management Interculturel
  • Psychologie Positive
  • Organisation Apprenante ...

et de trois niveaux d'observation…

  • La société globale
  • Les cultures d’organisation
  • La vie en équipe avec des « déviants positifs »

Dans nos quatre billets, vous trouverez, et nous assumons ce choix, considérations sociologiques et conseils pratiques de management. Si le seul outil dont nous disposons est un marteau, tout autour de nous ressemblera à un clou !

Nous chercherons à déconstruire des idées-reçues telles que « les Français seraient paresseux, et bien plus que les Allemands ou les Scandinaves… », que la « Grande Démission » serait synonyme de « Grande Paresse », que la paresse c’est l’inaction et le repli sur soi, que les jeunes ne voudraient plus travailler et sont plus individualistes que leurs ainés, que la crise sanitaire aurait finalement inauguré, en trois années, un rapport inédit au travail....

Au-delà des discours définitifs ou tonitruants, une révolte plus silencieuse se propage et qui renvoie au type de société que nous voulons construire demain. Et si les symptômes d’une rupture de la jeunesse avec le « sens du travail » dissimulaient, en réalité, la forêt du doute et même de la résignation face à un certain avenir que l’on ne veut plus ? Les Stakhanov se transforment-ils en Oblomov, ce personnage du roman éponyme d'Ivan Gontcharov affecté par une indécrottable apathie et la tentation du divan ?

 

Dans un premier billet (Crise de l’engagement et « Grande Démission » dans une société en « archipel »), nous interrogeons la notion même de « Grande Démission », cherchons ses sources et en relativisons la portée.

Dans un deuxième billet (Vivons-nous réellement la fin de la centralité du travail dans nos vies et pourquoi ce "Grand Bouleversement" ?), nous explorons une demande généralisée d’aplatissement des structures hiérarchiques et, plus largement, une érosion des figures traditionnelles d’autorité.

Dans un troisième billet (Grande Flemme ou renouveau de l’engagement ?), nous mettons en doute certains effets de la technologie galopante sur le bien-être et soulignons une face plus sombre de la société de confort.

Dans un quatrième billet (La place des "déviants positifs"), nous en appelons à la force des atypiques et mettons en garde contre le « Grand Adéquationnisme» qui toujours célèbre mimétisme et entre-soi et ce, dès le recrutement. Nous valorisons la force de la rencontre et des atypiques si ceux-ci sont généreux etdélivrent du résultat au-delà de leurs seules différences.

 

Nous sommes questionnés par David Lambert dirigeant de FuturGo, un cabinet conseil innovant dont les équipes sont convaincus que placer ensemble l'innovation au service des entreprises confère un avenir plus    sûr et qu’il convient de fonder un nouveau pacte de loyauté et d’engagement entre employeurs et employés.

 

Billet 1/4   :    Crise de l’engagement et « Grande      Démission » dans une société en « archipel » ?

 

I Quit

10 points en résumé :

 Dans ce billet accessible sur www.mellet-consulting.com et sur www.philippepierre.com, derrière le terme de

« Grande Démission », nous pointons plusieurs phénomènes explicatifs de ce qui serait une baisse tendancielle de l’engagement dans les sphères du travail :

 

  • Alerte à « l’emploi » ! Ou alerte au « travail » ? La grande majorité des entreprises ou organisations publiques ou privées peinent à trouver des candidates et des candidats. Elles disent faire face à des difficultés de fidélisation rarement connues sur les trente dernières années

 

  • Derrière ces difficultés bien réelles, un constat : le « travail » ne serait plus aussi central dans nos vies. Il serait moins notre carte d’identité principale ! Le modèle culturel que nous nommons de la « loyauté » (hiérarchique/pyramidal/de long terme) est attaqué par celles et ceux qui doutent ouvertement de sa valeur. L’individualisation des parcours professionnels n’a cessé, depuis quarante ans, de réduire l’ancrage collectif au sein des entreprises (force et utilité perçue des partenaires sociaux, confiance en sa hiérarchie directe, restructurations, importance des ratios financiers dans le quotidien…)

 

  • Face à la figure du chef en surplomb et ses principes de légitimité verticale, formes d’autorité propres à la « loyauté » et à la période des « trente glorieuses », la recherche d’employabilité en « réseau » et des carrières en « archipel » ne cessent de gagner du terrain chez les jeunes (les « slasheurs » notamment) mais aussi les moins jeunes qui ont pu réviser leurs trajectoires de vie - pendant et après - les temps de sidération de la Covid-19

 

  • Plus largement, c’est la figure du « sachant », en promontoire, qui est discutée dans notre société, comme dans nos entreprises, et nous devons composer dorénavant avec un phénomène de  « renversement de la présomption de compétences ». Celle ou celui qui « savent » doivent sans cesse prouver à ceux qui apprennent qu’ils savent (vraiment) et cela au risque d’être porté très vite devant les tribunaux

 

  • La souffrance, l’abnégation et la réussite au travail ne vont plus ensemble dans un implicite quelque peu doloriste de la                « loyauté » : c'est la recherche du plaisir que l’on peut prendre « ici et maintenant » et d’un équilibre « vie-personnelle/vie professionnelle » qui prédominent aujourd’hui dans les attentes de celles et ceux qui entendent passer du modèle du « Père » aux promesses des « pairs »

 

  • Avant de parler du sens de l'effort, il faudra toujours commencer par donner du sens à l'effort. Nous vivons un saut de complexité croissante qui invite, plus que jamais, à passer - ou plutôt associer - une vision mécanique (« loyauté ») à d’autres visions plus organiques de la société et des organisations (vers l’« archipel »). Dans ce passage, le « turbo-capitalisme », celui des grandes structures anonymes et de l’informatisation àoutrance, a, pour nous, moins d’atouts que les PME et ETI innovantes, mais aura malheureusement toujours plus de moyens pour se monter « désirable » auprès de celles et ceux qui intègrent le marché du travail ;

 

  • Si « Grande Démission » il y a, ce que nous relativisons, elle est à interpréter, selon nous, à l’aune d’une transformation progressive de la notion d’effort physique et moral et du poids écrasant des technologies dans notre quotidien. Un poids qui souvent renforce l'inconfortable impression d'être ensemble...mais seuls

 

  • C’est moins la critique du travail que celle de l’emploi, celle d’un emploi morne et routinier, qui prend davantage d’espace chez nos contemporains qui veulent  bien travailler… mais autrement

 

  • Dès lors, une société en «archipel» valorise le dépassement de soi dans le travail (l’humain comme sujet par le travail) tandis qu’une société « en fragments » fait courir à toutes et tous le risque de sortie du symbolique et de perte d’ancrages existentiels (l’humain comme objet à cause du travail)

 

  • Nous concluons par quelques conseils propres à une posture managériale « d’étonnement volontaire »et soulignons, face à ces enjeux de reconnaissance, un nécessaire « optimisme de combat », si cher à Michel Serres !

 

Vous croiserez, dans ce billet, des manifestantes et manifestants, Socrate, Nietzsche, des bloggeurs, des slasheurs, un chien noir en capuche jaune, un potager, une start-up, différents types d’archipels, Alain Souchon, plusieurs manières d’être jeune, une espérance…

 

 

Do You love what you do...

 "Grande Démission" ?

"Je suis venu te dire que je m’en vais, Et tes larmes n'y pourront rien changer…"

A l'instar de la chanson de Gainsbourg, le constat semble sans appel : nous vivrions une crise du travail, de l’engagement et un vaste temps de désertion : les jeunes ne sauraient plus s’investir et les autres seraient convaincus que « plus rien ne sera jamais comme avant » dans leur vie au travail1 ! On appelle cela, depuis trois ans, la "Grande Démission". Une partie de la population rechigne à revenir dans le rang et un certain type de carrière ne fait plus rêver. Depuis le début de l'année, la France connaît une vague accentuée de démissions. Plus de 1 million de Français en contrat à durée indéterminée (CDI) ont quitté leur emploi, soit 15% de plus que l'année précédente. Entre fin 2021 et 2022, on a enregistré près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. Le record précédent datait du premier trimestre 2008, avec 510 000 démissions dont 400 000 pour les seuls CDI. Un phénomène qui devrait durer tout au long de 2023 : 42% des moins de 35 ans envisagent même de démissionner dans les 12 prochains mois. La moitié des jeunes français sont prêts à démissionner s’ils ne peuvent pas télétravailler (ce télétravail représente, début 2023, 20% des heures de travail de l’emploi salarié). Une nouvelle source d’insatisfaction a fait son apparition : l’impossibilité de pratiquer le télétravail. 40 % des travailleurs pratiquent le télétravail au moins occasionnellement, et 33 % régulièrement (au moins un jour par semaine) contre seulement 7 % avant la crise sanitaire et la crainte épidémique. 40% des jeunes préfèrent être au chômage qu’être malheureux au travail. 40% qui démissionnent le font pour une question de « valeurs ». Les démissions ont certes atteint un taux record mais demeurent en territoire connu et les personnes reprennentensuite un emploi. Sur 10 personnes ayant démissionné d’un CDI au second semestre 2022, 8 étaient à nouveauen emploi dans les 6 mois qui ont suivi. Elles ont donc trouvé mieux ailleurs.

David Lambert : Tous les jours, on entend parler de « Grande Démission » et on entretient l’idée d’un déficit d’engagement au travail, principalement des jeunes. Lors de leur embauche, ils ne seraient pas forcément là le « jour j », alors qu’ils l’avaient validé quelques jours auparavant. Il est vrai que c’est fréquent. Ils choisiraient leurs employeurs, ce qui est également de plus en plus vrai pour certains. Prenons ensemble un peu de recul. Comme vous le savez certainement, la baisse du temps annuel de travail est un processus historique. Ce mouvement remonte à loin et, en France, pour la seule période entre 1997 et 2002, la durée annuelle moyenne de travail a reculé de 1 732 à 1 655 heures. Elle est de 1550 heures aujourd’hui.
Eric Mellet et Philippe Pierre, pour vous, en France, plutôt que de « Grande Démission », on devrait parler de remise en cause de la centralité du travail dans nos vies. Quels en seraient alors les signes ? Chez les jeunes notamment.

 

Quand on tend l’oreille et que l’on écoute les témoignages de celles et ceux avec lesquels nous partageons nos séminaires de formation au management et nos sessions de coaching, nous sommes souvent surpris et toujours intrigués par ce qui semble un fossé générationnel. Aussi, quand nous voulons comprendre les aspirations des plus jeunes de nos contemporains, il n’est pas rare d’entendre de ceux qui sont plus âgés s'exprimer, à leur égard, en ces termes :

  • « Ils veulent vivre leur vie tout de suite, ici et en impatients. Fun et carpe diem !»,
  • « Ils ne veulent plus de vacances qu’il faut meubler à tout prix en attendant le retour du travail et de la vraie vie ! »,
  • « Ils ne souhaitent plus se satisfaire d’une position, d’un statut dans la structure quand ces privilèges les empêchent précisément de contribuer au fonctionnement de la structure »,
  • « Ils veulent manger le dessert en premier », « ils votent avec leurs pieds : cela ne me plait pas, je pars… A toi de le comprendre et même de l’anticiper »,
  • « Ils sont nombreux à refuser des CDI depuis bien longtemps et préfèrent souvent des contrats courts »,
  • « Ils sont jeunes et de plus en plus différents les uns les autres… attention aux catégories générales et aux sirènes du découpage en X, Y, Z »,
  • « Ils viennent en entretien, acceptent le contrat mais ne se présentent pas le premier jour et cela sans même prévenir »,
  • « Ils ont beaucoup de créativité et vont vite »,
  • « Ils ont bien raison et font ce que j’aurais dû faire dans ma jeunesse, il y a trente ans déjà »

Ces quelques verbatims, loin de fonder le portrait d’une génération homogène - qui ne l’est pas - notamment parce quel’on ne parle ici que de ceux qui sont dans les circuits de l’emploi, nous informe sur un mouvement qui se produit, depuis une quarantaine d’années au moins, de la remise en cause de la place centrale du travail dans nos existences. Les figures d’autorité légitimes, autrefois hiérarchiques et plus pyramidales, changent, les priorités évoluent. Il s’agit de mieux le comprendre... Et toutes les générations sont concernées. Pas seulement les jeunes.

 

David Lambert : La notion même de travail n’est donc pas en danger ?

 

Non, mais les priorités changent. 24 % des Français estiment, en 2022, que le travail est très important dans leur vie, selon une récente de la Fondation Jean-Jaurès en partenariat avec l’IFOP, contre 60 % en 1990. La chute semble brutale et ces chiffres prêtent au doute, tant ils sont spectaculaires2. Pourtant, dans nombre d’enquêtes sociologiques, nous constatons bien, en France, une forte réduction de la priorité assignée au travail par rapport au couple, à la famille, aux amis et relations, aux loisirs3.

Votre question est donc épineuse car dès qu’il est question de travail, d’assistance aux plus démunis ou de chômage, on a très vite affaire à des catégories morales. Un professionnel sur trois redoute le lundi matin4. Les Français veulent travailler mais… autrement ! On sait qu’en période de faible chômage, les postes à pourvoir sont plus nombreux, donc de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, ce qui incite à démissionner. En cela, si « Grande Démission » il y a, elle interroge sur la capacité des employeurs à attirer des ressources. Et plus largement, les fidéliser différemment d’autrefois à travers des espaces de travail plus « apprenants » et des activités motivantes.

Rappelons une évidence : le travail reste le seul facteur actif de création de valeur pour financer nos systèmes de protection sociale ainsi que les institutions humaines de santé, d’éducation, de soutien aux plus fragiles, de sécurité, d’entretiens de nos ports ou nos routes... Mais il y a de la production d’utilité sociale en dehors de l’emploi, de la société salariale et des pensions de retraite. Dans le repas que l’on prépare, dans le cours d’anglais que l’on donne ou dans le soutien que l’on porte à des anciens…La notion de travail, et plus encore, celle d’emploi, est une invention de la modernité, plus exactement une invention du capitalisme industriel. Le travail n’existait pas tant que l’essentiel des besoins était couvert par l’autoproduction domestique, le temps long des saisons et l’économie villageoise. Tout a depuis beaucoup changé.

Et notre paysage social, celui du travail et des travailleurs, ne cesse de se morceler. L’engagement de soi dans son travail pour la jeune génération, celle d’une vingtaine et d’une trentaine d’années, s’opère tandis que continuent de se déliter certains ancrages existentiels durables (emploi à vie, garanties statutaires, stabilité des cercles familiaux et amicaux autour de soi, sécurité économique…) et que se diversifient sans cesse les formes contractuelles d’emploi (travail de courtage, travail détaché, location de main-d’œuvre, intérim, sous-traitance, saisonnier, occasionnel, ubérisation)… Tous les jours, le travail est concurrencé par d’autres activités dans nos recherches d’accomplissement et nous devons parler dorénavant du caractère « polycentrique » (ou « en archipel ») de l’existence plus que de centralité du travail dans nos vies. Une certaine conception volontariste - et même doloriste - de l’existence, se voit peu à peu mise en cause dans sa prétention à s’imposer.

 

 

David Lambert : Doloriste ?

 

Graph petite fille au ballon

 

Nous nous sentons, nous qui vous répondons, marqués par un modèle culturel « traditionnel » qui veut qu’une vallée de larmes sur terre existe avant l’existence bienheureuse au paradis5. Jeunes, on nous disait : avant de profiter dela retraite, il faut endurer et ne pas compter ses heures ! Et puis l’école, l’armée, le travail… forment la personnalité. On réprimandait le petit garçon ou la petite fille parce qu’ils devaient sans cesse « faire mieux ». Des choses « utiles » et « productives ». On nous enseignait que le travail faisait de soi une meilleure personne. Qu’il fallait être fier de ramener du travail à la maison. Qu’il fallait réussir « dans » la vie – et se protéger d’un environnement menaçant par l’achat d’un bien immobilier – pour finalement… réussir « sa » vie. Que l’on ne pouvait pas habiter sans posséder… Que si tu avais fait plus de mathématiques à l’école, et bien tu serais plus heureux ! Que la démission était synonyme d’échec et que l’on ne faisait pas revenir les démissionnaires qui trahissaient la « famille ».

 

Alors au travail, quand on y est, on ne rigole pas et on prépare sa retraite ! Tout doit y justifier une constante escalade de l’engagement, et ce dès l’adolescence et les premiers stages. On vous plonge ensuite dans la piscine et on regarde comment vous savez ou pas nager ! Vous mangez les plats que l’on sert dans l’ordre. Le dessert à la fin. Comme récompense d’une vie d’abnégation et de devoir ou vous vous êtes attachés à être constamment la meilleure version de vous-même ! Et pas question d’exprimer trop ses émotions, ni de se détourner de la route ! JasonFried et David Heinemeier Hansson dans leur livre Arrêtons de bosser comme des fous ! notent : « Le monde des affaires est obsédé par le combat, la victoire, la domination et la destruction de l’adversaire. Cet état d’esprit transforme les dirigeants en petits Napoléon ». La récente démission de la Première ministre néo- zélandaise fait vaciller ce mythe de l’infaillibilité des dirigeants.

 

Depuis plus de deux siècles, une bonne partie de nos concitoyens partagent dans notre société, une dimension « sacrificielle » du travail et de l’effort. On peut dire, avec Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, que le catholicisme (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »), et toute une partie du monde ouvrier l’ont eu notamment en partage avec cette fierté du travail « bien fait ». Tous deux notent que l’assertion selon laquelle « il faut souffrir pour réussir » coupe aujourd’hui notre pays en deux avec 51% d’adhésion et 49% de désapprobation. Ils notent aussi que 63% des Français se disent satisfaits de leur emploi. Notons que ce rapport doloriste que nous entretenons au travail - et la paresse comme péché capital - est une donnée historique elle-même changeante. Si l’on plonge dans l’histoire, « bailler sa vie, c’était autrefois, se distinguer de la plèbe humaine, ouvrière ou bourgeoise, dans son labeur dégradant, se proclamer membre d’une élite, celle des happy few »6 écrit Pascal Bruckner. Socrate disait que « les travailleurs manuels faisaient de piètres amis et de piètres citoyens parce qu’ils n’avaient pas le temps de remplir les devoirs de l’amitié et d’assumer les responsabilités de la citoyenneté »7.

 

Il fut clairement un temps, dans notre propre passé occidental, où nul n’aurait compris ou admis l’éthique du « travail » mais plutôt de celle de glaner ou de vivre de ses rentes. « Le faire » était quelque chose de méprisable et un homme de bonne origine cachait son travail quand la misère le forçait à travailler8. C’est Luther qui le premier a promu le mot « Arbeit » comme valeur spirituelle, prédestination de l’homme dans le monde. Au cours des cent cinquante dernières années, toutes les théories sociales et la grande majorité des courants politiques (socialistes ou conservateurs, communistes ou fascistes) ont été puissamment influencés par l'idée du travail et son pouvoir émancipateur. Par un modèle productiviste. Beaucoup de nos contemporains pensent qu’il faut "libérer le travail" et non se libérer du travail. C’est-à-dire réfléchir à l'établissement d'un nouveau but d'émancipation sociale au-delà du travail et de ses catégories reines plus ou moins implicites et dérivées (valeur, marchandise, argent, concurrence, mérite, État, frontières nationales, représentation démocratique indirecte, etc.). On ne peut pas penser cette « Grande Démission » supposée sans réfléchir à la contestation d’un certain type de société marchande et de ses injustices criantes.

 

 

David Lambert : En quoi les priorités et les manières d’être changent dans la sphère du travail ?

 

 La crise sanitaire a marqué une forte distinction entre les « travailleurs essentiels » du quotidien (infirmières, brancardiers, éboueurs, pompiers, ouvrières et ouvriers dans l’agro-alimentaire….) et les autres qui pouvaient et même devaient rester chez eux. Qui étaient peut-être conduits à penser alors qu’ils étaient, en un sens, moins essentiels… Et que tout un certain type de vie « réglée » était donc sans nécessité, une fois que s’était manifesté l’état de nécessité de la menace épidémique9 !

 

Cela a amplifié, pour beaucoup, un effet « post Covid » comme un temps de révélation sur le sens de son propre parcours professionnel, sur la prétendue « normalité » d’un monde du « Même » et du   « Plus »10 et donc renforcé un certain nombre de refus :

 

  • Refus de se négliger. Et volonté d’habiter sa propre vie, de passer du temps avec ses proches car on aurait pu les perdre.
  • Refus de se vivre en s’observant de l’extérieur. Et volonté de faire « reset », de questionner notre mode d’emploi, nos référentiels
  • Refus de certaines règles de subordination car travailler, dans notre société salariale, revient d’abord à faire quelque chose que l’on n’aurait pas fait spontanément. Et volonté de poser – en tant que personne - son propre cadre de contraintes11.
  • Refus d’échapper à la justification de son propre temps de vie et de son « utilité » auprès d’un employeur, d’un client, des collègues, auprès de l’Etat et des prestations sociales, du fisc…. Et volonté de reprendre du pouvoir sur notre existence, de (re)conquérir un temps où l’on ne rend de comptes à personnes. Nipour se déplacer au travers d’une « autorisation de sortie », ni pour ne rien faire…
  • Refus de vivre sur la toile avec des amis d’amis qui vous envoient leur photo d’un quotidien sucré. Et volonté de participer à différents réseaux d’entraide concrète quand, par exemple, 3 millions de logements sont vacants en France
  • Refus d’une vie toute tracée, celle de l’hyperspécialisation d’une formation de base qui nous enferme ensuite dans un long tunnel professionnel. Et volonté ou de se former pour vivre autre chose pour vivre autre chose. Pour faire autre chose.

 

Car, dans la sphère du travail, tout particulièrement, les temps sont, de plus en plus, à l’enchevêtrement des formes d’action. Il est maintenant assez courant de travailler « et » de toucher des allocations. De « profiter » du chômage et du RSA pour se reconvertir et sortir du salariat. Les « tracances » (ou Wokation) – sont la contraction des mots « travail » et « vacances » – où littéralement on travaille depuis un lieu de vacances.

Le triptyque étude/travail/retraite a de moins en moins cours : on travaille pendant ses études ; on étudie pendant sa vie professionnelle ; et on peut, aussi continuer à travailler partiellement pendant sa retraite. L'éducation des citoyens et la formation des salariés n'est plus une étape unique de leur vie. Nous serions, toutes et tous, conduits à davantage naviguer dans les îlots d’un               « archipel »12 en assumant des tiraillements et des dissonances dans un monde qui nous a toujours demandé de choisir entre deux cases (Beatles ou Stones, « rouges » ou « calotins », tes méthodes ou les miennes, ville ou campagne…).

 

A ce titre, la multiplication des « tiers-lieux » est un des nombreux signes de ce passage sociétal qui « démultiplie » plus qu’il « n’additionne » : on y mêle des activités économiques de services, de travail social avec de la recherche, des startups, de l’artisanat, de l’innovation sociale ou encore des activités culturelles. On crée des endroits que personne ne « possède » et qui sont « utiles » à beaucoup. Nous défendons l’idée que la société française passe, depuis les années soixante, d’un certain type de société, d’une perspective du centre (autour des trois piliers fondateurs que sont le travail13, la famille et les amis et un« reste » du social qui tourne autour de ces  trois forces cardinales) à une société constituée de différents centres ou pôles (une pluralité d’intérêts amicaux, associatifs, sportifs, affinitaires, professionnelles… sans domination réelle d’aucun). Comme le font certains « slashers » (du verbe « compartimenter ») qui cherchent plusieurs activités professionnelles ou bénévoles sur un même trimestre ou sur une même année. Experte comptable, sculptrice et chanteuse dans une chorale. Architecte, « gamer », marathonien et professeur de karaté. Les slashers se revendiquent plus des « associés » que des « personnels gérés »14 pour leurs différents employeurs.

 

Ces personnes dotées de ressources et d’un bon carnet d’adresses, en appelleront à l’abandon des silos dans lesquels « les chercheurs cherchent, les enseignants enseignent, les entrepreneurs montent leur start-up, l’artisan fabrique des objets, l’administration administre »15. Ils trouveront souhaitable de croiser les expériences et d’hybrider leurs vies. Ils souhaiteront que toutes les tâches sans intelligence soient robotisées tandis que le centre de gravité des métiers et activités humaines se déplaceront vers des tâches non procédurales et non répétitives… On doit s’impliquer et s’engager émotionnellement dans des projets forts et de plus en plus temporaires. On peut vivre une participation intense à durée limitée comme dans l’imaginaire mythifié de la série « Ocean » au cinéma et de collectifs mouvants, comme une petite bande de jazz ...

 

On veut improviser. On veut jouer, c’est-à-dire « mettre entre parenthèses des conséquences », selon la définition du jeu de Bernie de Koven. Dans l’activité ludique, la gratification principale réside dans l’activité elle- même, quelle qu’elle soit. Bob Black note que « le secret de la transformation du travail en jeu, comme l’a si bien senti Charles Fourier, consiste à ordonner les activités utiles de manière à tirer avantage de la variété des goûts, afinqu’une variété d’êtres vivants trouvent un réel plaisir à s’y adonner à des moments choisis »16Le cabinet d’audit, de fiscalité et de conseil Mazars a ainsi retiré de ses contrats de travail la clause interdisant une autre activité professionnelle. Être bloggeur, acteur, boxeuse ou coach et « Mazariens », c’est possible, et donne une certaine idée du futur du travail. Séduisante, en apparence...

 

David Lambert : Que dire encore de cette quête de sens des jeunes générations ?

 

Evoquer une quête de sens revient à regarder un sujet qui se montre fidèle à un engagement. Une femme, un homme, un collectif, une cause qui abritent une vérité à même d’orienter sa vie. Et de ce point de vue, tout le monde est en quête de sens. La recherche d’autonomie, d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle sont le fait de la supposée génération « Z » ou « Y », mais également de la génération X et des babyboomers. Toutes les générations confondues souhaitent entretenir aujourd’hui, avec le monde du travail, d’autres types de relations que celle vécue aujourd’hui.

La relation au travail des jeunes, c’est la relation que toutes les autres générations souhaitent instaurer par rapport à la hiérarchie, au type de management, à l’autonomie, à la formation, à la gestion des horaires, à la carrière17 et Stéphane Haefliger a raison de parler de « Grande Reconfiguration ». Avec lui, nous assistons donc « à un fait historique majeur qui voit émerger chez tous les travailleurs du XXIème siècle, une mutation totale de leur relation au travail, un assouplissement général du cadre professionnel, une reconfiguration générale de la place du travail dans leur vie » 18. A notre époque cœxistent plusieurs façons de vivre la performance et l’engagement de soi. Du modèle unique taylorien, nous sommes passés à une variété de systèmes sociaux de production19. L’entreprise, à mesure de son développement, trouve, en son sein, des liaisons différentes de ce que l’on lui connaissait et renvoyait à une forme de stabilité, de lisibilité et de lenteur.

Dans le tableau qui suit, nous présentons, à grands traits, cinq modèles d’organisation qui souvent coexistent dans uneseule et même entreprise, un seul et même hôpital, un seul et même ministère, une seule et même association…

 

Modèles d'Organisations

 

On lit bien (avec de bons yeux ou de bonnes lunettes), dans ce tableau, l’enjeu des collectifs dirigeants : fonder et entretenir un socle culturel commun avec des personnes qui discutent des principes et des orientations venus d’en haut parce qu’elles sont enracinées dans des visions du travail différentes. Et que leurs parcours de vie les conduisent à questionner de plus en plus ce qui nous apparaît comme le seul modèle possible quand on travaille : la « loyauté » (colonne de gauche). Dès lors, les « employés » sont-ils des alliés, des prestataires ou des membres de la    famille ? Faut-il, quand on est employeur, chercher la personne idoine pour chaque carrière, ou pour chaque poste, ou pour chaque projet ou bien encore pour chaque occasion ?

 

David Lambert : Paul Valéry parlait « d’antique économie du père de famille basée » sur la lente agrégation des patrimoines. Il renvoyait clairement à ce modèle de la « loyauté ». Celui où l’on apprenait, à l’école, la cigale et la fourmi et où nos parents nous demandaient à vingt ans si l’on pensait bientôt préparer sa « retraite ». Dans la perspective de ce modèle de la « loyauté », le travail est utile pour garantir des droits sociaux. Le travail est source d’activité, d’épanouissement personnel et d’identification personnelle. Les syndicats sont actifs.
Est-ce la faillite, aujourd’hui, de ce modèle de la « loyauté » qui proposait d’échanger forte implication professionnelle contre sécurité d’emploi et nous occasionnait aussi des nuits blanches ? A côté de lapyramide, vous évoquez souvent le réseau ou l’archipel, quels nouveaux types d’autorité émergent dans notre société ?

 

Nous ne parlons pas de faillite. Ce modèle de la « loyauté », celui de nombre de nos parents et grands-parents, de la carrière en escalier dans une même organisation, de l’automaticité des coefficients, du compagnonnage patient, de la lutte syndicale passée un certain nombre de salariés dans l’effectif, de l’effort pour le travail au centre de ses préoccupations personnelles… génère des valeurs et des principes d’éducation morale susceptibles de continuer de se répandre dans l’ensemble de la société. Il est moins dominant mais ne disparaît pas. On peut le retrouver dans de grandes organisations publiques ou privées, et même certaines composantes dans des PME ou ETI performantes et fortement implantées en leurs territoires. De nombreux jeunes souhaitent rentrer, par exemple,dans la fonction publique si on leur en donne la possibilité en 2023. Pour avoir plus de temps à eux, pour devenir propriétaire comme leurs parents et présenter à un banquier, pour emprunter, un contrat de travail de long terme…

 

Dans ce modèle, les dirigeants nous connaissent souvent personnellement et l’estime qu’ils nous portent est une protection. Les intérêts des dirigeants et ceux des salariés vont dans le même sens. Beaucoup de jeunes continueront d’être influencés par ce modèle de l’emploi à vie, de la sécurité espérée… Ce modèle culturel veut que sans accomplissement dans le travail, une vie n’est ni complète, ni réussie20. En effet, il faut avoir conquis un emploi à temps plein et à vie pour ainsi obtenir des droits complets pour la retraite, l’assurance-chômage ou la maladie, et tout écart se paie d’une réduction de ces droits. Il renvoie également  à un imaginaire, c’est-à-dire un ensemble d’images auréolées d’affects qui structurent notre conscience comme notre inconscient. Ces images consacrent des siècles d’organisation de la société occidentale autour d’un centre : le chef que l’on connaît, le « sachant » que l’on identifie, le siège de l’entreprise, le diplôme qui confère « un rang », la norme en « surplomb » que l’on critique et révère21… Quand nous parlons de remise en cause de la centralité du travail dans nos vies, c’est cette idée du centre qui se métamorphose et avec elle, aussi, la conception d’un temps linéaire et séquentiel comme d’un rapport à l’espace d’abord sédentaire (notre atelier de production, notre magasin, notre usine…) qui mute.

 

Enfin, dans ce modèle français de la « loyauté », historiquement, on découpe les tâches et on contrôle les temps. Organigrammes et pointeuses… Certes. Mais l’on pose aussi toujours la question des finalités en premier lieu avant celle des process et d’un type de contrôle qui fonctionne au           « comment ? » et au « combien ? »22. Le « tope là » latin prime sur le tableau de bord plus anglo-saxon.

 

David Lambert : Avec cette remise en cause de la centralité du travail dans nos vies, vous pointez un                           « renversement de la présomption de compétences » ? On dispute au « chef », au « sachant », aux « têtes  pensantes »… leurs légitimités ?

 

 

Photo de Charles Deluvio sur Unsplash

 

 Oui pour souligner que ceux qui sont supposés « sachants » dans notre société, une enseignante appréciée, un médecin, une physicienne chevronnée… doivent dorénavant davantage « prouver » à ceux qui apprennent qu’ils savent, au risque de voir leur statut discuté et leur activité parfois jugée directement devant les tribunaux pour d’éventuels dommages et intérêts.

Pensons au monde médical et à un mouvement général de « judiciarisation » du rapport à l’autre. Cette individualisation patente dissimule une érosion de la confiance en son prochain et aussi une standardisation latente de nos modes de relation. Le bien public n’est pas quelque chose qui se choisit ou non, il est assurément quelquechose qui se discute, mais une fois établi, il doit s’imposer à la collectivité. L’autorité est ce pouvoir d’imposition. Les temps sont là-aussi au pluralisme des formes et même au paradoxe. Voyez les exigences à l’égard de la police quidevrait garantir notre sécurité en toute circonstance sans nous contrôler ni nous contraindre d’aucune façon23.

 

Le sociologue Jean-François Chanlat rappelle qu’« étymologiquement, autorité vient du verbe latin « augere » qui signifieaugmenter et du mot « auctoritas » qui renvoie à la qualité qui grandit la personne en situation ; l’autorité s'impose donc d'elle-même au nom d'un principe transcendant partagé par tous les acteurs concernés (ancêtres, puissance divine, vertus publiques, succès militaires, élections, savoir, expertise, ...) »24. Si l’on éveille l’esprit critique de notre jeunesse avec plus de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, il est normal quela revendication de parler au nom de soi et de ses idéaux gagne du terrain : pour ne pas être un matricule interchangeable. Pour aussi coconstruire une vérité d’ordre supérieur avec ces maillons de la chaine du savoir que sont les autres, tous les autres, autour de nous… Le « sachant » devient un carnet d’adresses sur pattes, un« aimant à opportunités ». Nous voyons bien là - et certains le regretteront car l’on risque de confondre expertise et entreprise de séduction, vérité démontrée et opinion commune - un aplatissement manifeste des structures hiérarchiques du modèle de la « loyauté ».

 

Nous parlons alors, depuis longtemps, de mode de fonctionnement « poly-tribal » du type                 « individuel d’abord dans plusieurs collectifs de passage » : « je reste et coopère avec toi si très vite, je peux te dire ce que j’ai sur le cœur quand je travaille avec toi. Je questionne et veux savoir pourquoi tu me demandes ce que tu me demandes. Si tu me recrutes, je peux t’inviter à me mettre en relation avec des gens de chez toi, de ton entreprise, qui connaissent l’intérieur et prendre ainsi mes informations à la source. Je peux aussi te demander librement, au moment de l’entretien, si l’on s’amuse chez toi et si l’on" apprend à apprendre" pour aller ensuite ailleurs que dans ton équipe ou dans ton entreprise ! »

 

Et s’il est dorénavant impossible qu’un système transcendant de « loyauté » me protège vraiment (mon employeur qui me connait et me protégera si je deviens vulnérable, mes collègues et mon syndicat qui feront obstacle efficace en cas de fragilité, de péril…), alors faisons de la seule raison, ou plutôt de ma seule raison, le fondement des valeurs et de ma future mobilité géographique, professionnelle, territoriale, sociale… une planche de salut. De survie. C’est ce que pensent de plus en plus de nos contemporains. Nous sortant de la primauté du modèle de la « loyauté » ! Ce sera donc mon employabilité en réseau qui sera mon chemin sur le  « marché du travail » et, plus largement, pour réussir ou simplement subsister dans la vie. « Je ne ferai pas confiance aux organisations qui m’emploient, celles-ci n’ont pas de mémoire, ce sont les femmes et les hommes qui les dirigent qui en auraient mais, eux aussi, ils sont de passage du fait du « turbo-capitalisme » et de son absence de mémoire. J’ai vu mon père être mis de côté, placé en pré-retraite autour de 53 ans, alors qu’il voulait continuer son métier… ».

 

 « Alors misons sur nos compétences acquises en différents lieux, terrains, moments de l’existence ! Je veillerai à me former du bout de mes doigts (Wikipédia, You Tube, TED, Coursera, Kahn Academy…). Et j’aurai parfaitement en tête les risques d’usure mentale liés à un trop plein de mobilité géographique et professionnelle ! Mais que puis-je y faire vraiment ? ». Le modèle pyramidal de long terme de la « loyauté » (emploi à vie en échange de forte implication et d’une vie largementconsacrée au travail) est donc percuté par le modèle de « l’employabilité », consacrant aussi un déficit migratoire des grandes villes et une forme de retour à la campagne avec une montée en puissance des « néo- ruraux » permise par le travail à distance. Pour beaucoup, le marché de l’emploi que l’on arpente et veut séduire (« employabilité ») se substitue à l’organisation qui connait et protège en un lieu, un temps, une forme d’autorité (« loyauté »). Est-ce un bien ?

Guy Debord écrivait que « les hommes d’aujourd’hui ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères ». Ceci semble s’être amplifié dans le champ du travail. Telle est la loi de la technique, de son ambivalence et de sa généralisation dansnos vies. Et puis, pourquoi toute une vie de labeur pour exister ? En retraite seulement ? Après tout, si la jouissance est légitime en soi...

 

David Lambert : Vous allez plus loin que ces deux modèles de « loyauté » et « d’employabilité » enévoquant la figure de l’archipel comme représentation d’un véritable changement de société ?
 

Cette figure de l’archipel condense un certain nombre de métamorphoses du monde. Un monde qui ne tient plus en place. Marc Halévy dans ses travaux de prospective, pointe un certain nombre de changements que nous avons vu se renforcer avec la crise sanitaire et qui viennent consacrer, selon nous, ce monde « en archipel »25 et qui fonde un arrière-fond sociétal à ce qui serait une « Grande Démission ». Reprenons-en ici sept d'entre eux :

 

  • la mise en suspens brutale – mais temporaire semble-t-il - de ce qu’il nomme des « auberges espagnoles» et, plus largement, de la fin des longs voyages et des déplacements géographiques fréquents avec la crise sanitaire ;
  • la généralisation du télétravail et des visio-conférences (et l’évolution du contrat d’emploi salarié... Pour certaines activités, le CDI temps plein classique a toujours un sens. Mais pour d’autres, le free-lancing, lerecours à des travailleurs payés à la tâche, voire « au clic » apparaissent plus pertinents pour les employeurs) ;
  • l’usage grandissant du« flexdesk» ou «bureau nomade» qui est un mode d’organisation sur le cloud dans lequel plusieurs personnes occupent le même espace de travail à tour de rôle ;
  • l’accélération de l’algorithmisation ou de l’ubérisation de pans entiers des services (restauration rapide, banques, assureurs mais aussi avocats, notaires, médecins, experts-comptables...) ;
  • l’accélération de la robotisation des productions industrielles et même agricoles ;
  • l'innovation de processus qui va plus vite, pour la première fois, que l'innovation de produit et fait que l’onsupprime davantage de travail qu'on peut en « réabsorber » par l'extension de nos marchés domestiqueseuropéens. Chat Gpt a ainsi été testé en deux jours par un million de personnes, Disney Plus en deux mois et demi pour le même nombre de personnes et il a fallu cinquante ans au téléphone pour se déployer auprèsde plus de cent millions de personnes26.
  • le passage d’une société industrielle verticale, productrice d’objets, à une société de services organisée de manière réticulaire, en « mosaïques » 27 . Le smartphone est caractéristique de cette « hybridité » : c’est un objet pourvoyeur de multiples services. L’appareil décompte mes pas lorsque je marche et, ce faisant, il setransforme en coach santé. Où est la frontière entre le produit et le service ? Elle disparaît28!

 

Ces sept points illustrent, pour nous, quelques aspects de la figure de l’archipel qui nous semble illustrative d’une partie des métamorphoses du monde et de la société française autour d’un profond mouvement d’individualisation29. L’archipel n’a pas de centre hiérarchique. Il sous-entend ce passage d’une perspective fixe et prévisible, sûre d’elle-même, d’un « espace euclidien à deux dimensions, avec ses centres, ses périphéries et ses frontières à un espace global multidimensionnel avec des sous-espaces sans frontière, généralement discontinus et s’interpénétrant »30. Ainsi vont nos vies.

 

Des ingénieurs refusent de faire carrière, des anarchistes ou des autogestionnaires se présentent aux élections locales et des fiscalistes tournent brusquement une page pour devenir artisans d’art ! Prenons encore un autre exemple dans le champ de la politique et de l’organisation de la Cité. Soulignons avec cette figure de l’archipel de nouveaux comportements qui nous conduisent loin des formes instituées et du champ classique des « partis » et des « syndicats », de leur recherche de l’unité à marche forcée... Monique Dagnaud souligne que 40% des jeunes français, entre 18 et 30 ans, signent régulièrement des pétitions, que 41% relaient les posts d’influenceurs sur les réseaux sociaux sur des causes qui leur tiennent à cœur, et que 51% boycottent ou choisissent des marques en fonction de leurs convictions31.

 

 

Le travail ?

David Lambert : La pandémie liée à la Covid-19 a-t-elle joué un rôle de catalyseur ? Un déclencheur qui transforme des aspirations en priorité et des rêves non avoués en avenir possible ?
 

Internet ou la pandémie ne sont pas tant la cause de cette « archipéllisation » que nous vivons dans l’espace du travail que les moyens de son accélération32. A chaque génération, ses temps de révélation et d’introspection, ses lignes de fuite et d’horizon. Faut-il gagner moins pour avoir un travail ou un emploi plus conforme à mes valeurs ? Durant la pandémie, près de 11 millions de salariés ont été mis en chômage partiel en France. Il est clair que, pour beaucoup, le confinement a fait paradoxalement ressortir ou pas toute la place du travail dans nos vies, et interroger chacun bien au-delà des emploistenus, des trimestres cotisés et des retraites à venir ou pas.

 

Beaucoup de nos contemporains ont dû réécouter Alain Souchon :

 

« Tu la voyais pas comme ça ta vie

Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit

Ton corps enfermé costume crétin

T'imaginais pas j'sais bien

Moi aussi j'en ai rêvé des rêves tant pis

Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie ! » 

 

Si le « travail » n'est qu'une tentative vaine de trouver refuge dans le monde généralisé de la marchandise, alors ce sont bien nos imaginaires politiques qui sont à bout de souffle ! D’ailleurs, l’horizon des partis de gauche est- il encore vraiment de pouvoir subvenir à nos besoins hors de ce qui est un champ marchand, qui on le sait, est largement dérégulé par les impératifs de la finance ? Peut-on continuer à célébrer la propriété privée comme la forme juridique du système de production marchande - et de personnes méritantes - quand d'innombrables logements et bâtiments publics restent vides ? Et que le nombre de sans-abris augmente immanquablement sans que les Restaurants du Cœur ne disparaissent toujours pas de notre paysage ? C’est un principe politique partagé que nous cherchons aujourd’hui davantage qu’autrefois. Un socle culturel commun dans des temps où tout le monde à tendance à discuter des principes et a apparaître de plus en plus sceptique face aux solutions politiques des partis et des instances collectives proposées. Des liens profonds existent et sont donc à mieux saisir entre désengagement face aux promesses du modèle de la « loyauté » et manifestations apparentes et médiatiques d’une « Grande Démission ».

 

 

David Lambert : Explorons ces liens. Ne vivons-nous pas un retour de balancier après l’héroïsme factice de la réussite au travail des années quatre-vingt, la figure d’un Bernard Tapie et ce que l’on a appelé la « décennie fric » ? Cette critique de la « loyauté » et ce retour à une culture de l'oisiveté - que toutes les sociétés occidentales antérieures ont connue – renverrait alors aux effets d’un productivisme effréné et, pour beaucoup, assez vide de « sens » puisqu’il ne parvient pas à partager les richesses ?

 

 

Pascal Bruckner écrit que la vie est devenue ordinaire depuis que nous sommes les enfants du calendrier et du salariat et que notre existence se décline en semaines, en mois et en fiches de paie. Il suggère aussi que la modernité, en se coupant de la transcendance, en survalorisant la technique, en érigeant les normes en lois, en exaltant le management de soi et en pressant l’individu de devenir l’entrepreneur de lui-même, l’a mise à nu comme un os33. Comme un ciel sans étoiles. Le constat est sévère mais il est juste ! Il est certain que des façons de se déplacer et collaborer en entreprise résonnent également de plus en plus négativement avec la manière d’exploiter les ressources limitées de notre planète. Comme l’exprime la directrice générale d’Oracle France, dans un article des Échos : « Avant, on nous demandait des voitures de fonction diesel, maintenant on nous demande si l’entreprise pollue et ce qu’elle fait pour limiter ses émissions carbone ». 6 milliards d’humains en 2000, 10 milliards en 2050 de personnes à nourrir alors que dès aujourd’hui, les réservoirsde ressources s’épuisent. Et toutes les ressources sont en voie de pénurisation. Notre Maison brûle et nous regardons ailleurs... S’affirme l’idée que la nature doit être considérée « non pas comme une ressource que nous exploitons, mais comme un lieu qui nous abrite et nous offre la vie, comme une bibliothèque vivante et inépuisable de laquelle nous apprenons »34.

Pour beaucoup aujourd’hui, il n’y a plus de séparation essentielle entre l’homme et les autres vivants, ni entre l’homme et la nature entière, qu’il habite simplement, sans la dominer d’une quelconque supériorité. Il est patent que des jeunes et des moins jeunes, de plus en plus nombreux, critiquent le contenu des programmes « verts » de ressourcement et la fin des tourismes de « défoulement » (stations de sport d’hiver, « sports » moteur sur terre, dans l’air ou sur eau, parcs d’attraction et de loisir, etc ...). Pointe l’entrée en fonction d’un principe généralisé de frugalité, le déclin des hyper- consommations et l’application massive du principe « moins mais mieux », à l’ère « anthropocène » – un concept apporté par le Prix Nobel de chimie néerlandais Paul Josef Crutzen et qui signifie que l’influence de l’être humain sur la biosphère atteint un tel niveau qu’elle devient une force géologique majeure.

 

Mais là encore, pensons à l’archipel car il y a plusieurs types de « jeunes » et des motivations très « diverses » alors qu’ils ont le même âge. Le 11 juin 2022 à Toulouse, les étudiants de l’École nationale supérieure agronomique (Ensat) se soulèvent contre l’idée qu’un ingénieur puisse « changer les choses de l’intérieur au sein d’une entreprise ultra libérale dont l’unique boussole est la recherche du profit » : « Nous voulons trouver du sens, être motivés par une cause juste et mettre nos nombreuses années d’enseignement public au service de combats qui servent le bien commun »35. On peut voir dans cet appel une critique du monde tel qu’il est. Elle semble avoir été celle de la jeunesse, et de tout temps. Mais ce qu’il y a surtout de nouveau, ou plutôt de grandissant dans notre société, c’est moins le désir de frugalité de ces étudiants de Toulouse que le désir d’agrément de la majorité de leurs congénères. Ils sont différents dans leurs préoccupations et ont pourtant le même âge. Pour leurs congénères, « il ne s’agit plus tant de « fuir le travail » ou« de se réaliser » par le travail que, plus modestement, de s’y sentir bien »36. Des préoccupations comme « trouver pour soi du confort et du bien-être », « être accompagné par son employeur pour améliorer sa santé »… arrivent loin devant le souhait d’acquisition d’une « bonne réputation en matière de RSE », « d’une identité d’entreprise et de valeurs fortes » ou du « renforcement de sa capacité personnelle à innover ». En outre, si selon la croyance dominante transmise de générations en générations, le bien-être, l'épanouissement et la performance étaient le résultat du succès (avoir « le Bac », avoir un job, avoir une promotion...), certaines recherches en Psychologie Positive nous enseignent que c'est, au contraire, le bien-être et le fait de se sentir épanoui qui constituent les facteurs à l'origine de la réussite et de la performance37.

 

Si différence il y a, elle tient dans le fait que de plus en plus de personnes affirment plus librement ne plus vouloir sacrifier leur vie sur l’autel du travail. Elles refusent - et le disent - devoir quelque chose à la figure d’un « chef » qui ne saurait pas écouter, partager franchement, dire aussi de ses faiblesses et vulnérabilités. Le travail n’est plus la condition première du salut mais une de ses composantes. L’appel à déserter au printemps 2022 par les étudiants d’AgroParisTech a été vu plus de 15 millions de fois. La réticence croissante à signer des délégations de responsabilité chez les encadrants ou à ne pas devenir « manager » alors que l’on nous y encourage… en sont trois des multiples exemples. La pandémie liée à la Covid 19 semble avoir accéléré ce phénomène dediversification des natures d’emploi, de liens d’engagement et de formes de motivations. Cela renvoie pour nous encore àcette métaphore de « l’archipel ».

 

David Lambert : En quoi vivons-nous une expérience inédite dans notre rapport au travail ? Qu’il y a-t-il de neuf ? Ou de vraiment neuf ?

 

Pourquoi faudrait-il absolument quelque chose de neuf ? Si l’on se place dans cette perspective, l’expérience est inédite dans ses manifestations les plus apparentes : multiplication des formes d’emploi tenus et des types de contrats, «ubérisation », « travail » du consommateur pour émettre un billet de train ou retirer de l’argent à un guichet automatisé, mobilité géographique pour les héritiers de l’Auberge espagnole et bien moindre pour la majorité de leurscongénères rivés au sol ou à leurs territoires…

 

Ne confondons pas ceux pour qui le travail est une composante du bonheur ou la condition principale du bien- être. Ainsi, trois types au moins de jeunesses se distinguent dans notre pays : une jeunesse rurale plus populaire, souvent active, attachée à l’ancrage local ; une jeunesse urbaine, souvent scolaire ou étudiante, de milieux sociaux plus favorisés et décidée à demeurer dans un cadre urbain ainsi que des jeunes compatriotes de milieux populaires et péri-urbains.

 

L’expérience semble nouvelle dans l’expression - haute et forte - des attentes vis-à-vis des emplois tenus : développer ses compétences en continu, avoir un meilleur équilibre de vie, prendre sa part face aux impacts sociaux et environnementaux liés au travail, ne pas dépendre d’un chef, ne pas sacrifier sa vie de maman ou de papa, travailler en plusieurs lieux… Mais l’expérience n’est en rien inédite dans le cœur même de ce que représente le travail pour une personne humaine.On existe par ce que l’on fait et par ce qui est reconnu par le regard des autres. Il y a bien ce que je revendique subjectivement et ce qui m’est socialement accordé par d’autres que moi. Ces autres qui sont autant susceptibles de me rejeter, de me contredire, de m’épauler que de m’aimer. Relisons le sociologue Renaud Sainsaulieu38 car ses apports sont de pleine actualité ! Tant sur la construction des identités au travail que sur la pluralité des « mondes sociaux ».

 

De tout temps, le travail est bien ce moment de nos existences où continue de se construire une identité individuelle et sociale : on s’y rencontre, on s’y réfugie aussi quand notre vie privée devient moins supportable, on y apprend à dépendre des autres et à s’en libérer un peu… « Grande Démission » ? Pour plus de cinquante pour cent des démissionnaires, ils ne quittent pas un travail, ils quittent un manager ! Et oui, il va falloir continuer de former nos managers au management ! Et dans un monde où les travailleurs n’imaginent plus faire carrière dans une ou deux ou entreprises (modèle de la « loyauté »), le fait de poursuivre la relation avec nos anciens (les meilleurs) va devenir un épisode normal et un temps de ritualisation nécessaire. Respectés et valorisés, informés aussi des dernières nouvelles ou des alertes d’emploi, aidés dans leurs démarches auprès de futurs employeurs, les anciens seront enclins à parler de vous en termes positifs. On peut même leur demander de lister cinq actions qu’ils réitéreraient exactement de la même façon durant leur passage chez vous et cinq actions pour lesquelles ils procéderaient différemment (technique dite dupost-mortem).

 

Le travail ne semble plus au centre de toutes les existences mais le résultat économique semble dépendre - toujours et encore – sinon de la qualité du lien social existant au sein de l’entreprise, du moins de la vitalité de jeux d’alliances et de pouvoir d’acteurs interdépendants qui se font confiance. Et là encore, on peut agir. Mieux vaut former quelqu’un même s’il doit partir, que de ne pas le former et qu’il reste !

 

Et puis, faisons du loisir et du travail choisis, les chemins premiers de l’assomption de soi ! Pas du labeur. On saittrès bien que proposer des horaires irréguliers voire « imprévisibles » amènent à doubler le risque d’avoir du mal à recruter et à fidéliser, comme dans certaines entreprises de la restauration, du nettoyage ou de l’aide à domicile qui n’ont pas envie de se rénover. On sait aussi les effets délétères du « travail empêché ». « L’activité empêchée, c’est le salarié qui, à la fin de la journée, se dit « aujourd’hui encore, j’ai fait un travail ni fait, ni à faire », exprime l’universitaire Yves Clot. « C’est ce travail qui vous poursuit, vous empêche de dormir »39. Quand au moins un dixième du personnel d’une organisation souffre de « ne pas pouvoir faire un travail de qualité », les langues se délient, votre réputation vousprécède et la difficulté à attirer est largement accrue.

 

David Lambert : Pour clore ce premier billet, face à ces jeunes générations notamment, quelle est selon vous, la bonne posture managériale, puisque vous insistez sur cette dimension qui à vos yeux ferait la différence entre employeurs de qualité et ceux qui ne le sont pas ?

 

En matière managériale, la pratique de l’étonnement volontaire  nous apparaît souhaitable quand on travaille avec une personne qui nous semble différente dans son rapport au temps (« chronémie ») (la manière d’accepter ou pas un retard,un délai, une astreinte…) ou son rapport à l’espace (« proxémie ») (les façons de se regarder ou de se saluer, de se valoriser mutuellement, de se tenir ou pas à distance…). Cela invite à la suspension de jugement (ne pas juger trop vite) et aussi à la distanciation du regard (savoir trouver autour de soi ceux qui vous disent pour votre bien des choses utiles sur vous que vous ne voulez pas entendre). Cela permet de remiser ses certitudes et d’accepter de changer d’opinion sur l’autre sans tomber dans le relativisme. Pour être forte, une culture d’organisation doit savoir se diversifier en se renouvelant. Elle doit aussi faire sienne la considération pour la sécurité psychologique  qui n’est pas une question de climat émotionnel, mais plutôt le fondement même sur lequel se construit une culture managériale.

 

David Lambert : Dans ce cadre, vous dites souvent qu’un manager, c’est une personne qui sait créer volontairement des espaces de parole pour s’entendre dire des choses profitables qu’elle n’a pas forcément envie d’intégrer dans son fonctionnement quotidien. Mais comment témoigner sa reconnaissance à une personne différente et qui le mérite ?
 

Exprimons-le en quatorze conseils simples. Et assumons de pouvoir associer, en un même billet, conseils pratiques et perspectives sociologiques de bien plus long terme !

 

  • Le dire simplement et le Une tape sur l’épaule ou un « tope-là » ne suffisent pas ! Nous sommes nés dans un pays, la France, où l'on n'est pas ou peu habitué à dire que c'est bien quand c'est bien. Ce serait tout simplement normal... Pour pouvoir fonctionner sans écorchure, le manager devrait chasser de lui tous les besoins émotionnels et tous les états d'âme dans lesquels le domaine du « travail » ne verrait que des facteurs de trouble. Prenons du recul par rapport à cette sphère du travail érigée historiquement en « sphère autonome » et de laquelle serait née, comme son revers, la sphère du foyer, de la famille et de l'intimité. Méfions-nous des séparations stricteset des rôles convenus. Exprimons nos sentiments et sortons de cette vie en « pelures d’oignon » séparant strictement la personne que l’on est (nos émotions, nos sentiments…) et les rôles sociaux ou professionnels que l’on tient… si caractéristiques du modèle de la « loyauté ». Favorisons, certes, les expressions souvent spontanées comme « bravo », « félicitations», « merci », comme le proposent Sylvie St-Onge et ses collaborateurs dans la revue Gestion en 2005, mais surtout partageons des lectures, des films, des expositions et le « pourquoi » de nos choix personnels. Dans le respect del’intimité de chacun.

 

  • Agissez par vos comportements car vous êtes attendu dans les signes que vous envoyez ! Un dirigeant, un manager, un animateur d'équipe... sont des producteurs de signes. Attachez-vous à comprendre pleinement ces signes envoyés ! Faites-vous aider pour les comprendre ! Osez « l’effet-miroir » !

 

  • Ne pas ignorer les symboles honorifiques (trophées, prix, titres, diplômes, plaques murales ou galerie de photosphysique de celles et ceux qui contribuent ou dirigent avec générosité...).

 

  • Osez la visibilité et les félicitations devant ses pairs !

 

  • Personnalisez la relation avec vos meilleurs éléments, avec vos « talents » avec le choix de biens, de services et de primes ponctuelles comme la possibilité de télé-travailler (aux États-Unis, 20 % des salariés ont déjà adoptéce mode de travail à 100 % du temps), de renforcer le travail hybride et même depuis l’étranger, la flexibilité deshoraires, les congés sabbatiques, les longues vacances rémunérées qui aident les créateurs à rester créatifs...

 

  • Améliorez constamment les conditions de travail en pratiquant la note d'étonnement en images (« quelles sont les cinq images qui illustrent ton étonnement depuis tu as pu rejoindre notre équipe ? »), en faisant démarrer tous les nouveaux embauchés par le « support client » ou le « stage route » de commercial, en systématisant les « vis ma vie» d’une bonne semaine au moins !

 

  • Osez la rémunération variable comme les augmentations de salaire en fonction de la performance et de la générositéen actes !

 

  • Pointez la sous-performance quand elle est là ! Si elle est là ! Ne pas la pointer, par absence de courage, est un excellent moyen de faire partir les réels « talents ».

 

  • Associez aux résultats ! En associant au capital en monnaie sonnante et trébuchante et aussi en associant aux décisions. Un « talent » heureux est-il salarié, entrepreneur et actionnaire ? Nous y reviendrons dans nos prochains billets !
  • Diversifiez votre package salarial en instaurant, si les personnes le méritent : une aide financière pour l’achatde carburant, des bons d’achat en ligne, des programmes bien-être et actions caritatives, une aide financière pour l’achat d’équipements pour le télétravail, pour la garde d’enfant, pour les solutions de mobilité (vélos)…
  • Enseignez avec vos « talents » ! Partagez votre passion dans des lieux d'enseignements comme les BTS, lesIUT, les Master à l'Université, les Ecoles ... L'essentiel est de faire naître des Surtout pour celles et ceux qui n'entendent pas parler de l'entreprise très souvent ! L’enseignement permet de ne pas s’isoler et de prendre le pouls d’une société en constante évolution. De même, rencontrez des candidats même quand vous ne recrutez pas !
  • Ecrivez avec eux des livres, des articles, des billets de blogs ! Vous grandirez avec elles et avec eux et en créant un contenu qui a de la valeur pour des candidats potentiels, vous faites coup double. Vos meilleurs salariés à contribution constituent la meilleure ressource pour votre communication sur les médias sociaux.
  • Faites de vos anciens collaborateurs (seulement les meilleurs) des ambassadeurs de votre organisation en les aidant (après être partis de chez vous) à améliorer leurs profils en ligne, à faire des vidéos courtes et impactantes, sans artifices, de votre expérience chez vous. Mieux vaut ne pas afficher ses valeurs plutôt que de publier une profession de foi Et pour cela, vos anciens sont crédibles pour éviter de courir le risque d’écarts entre valeurs affichées, valeurs pratiquées et valeurs vécues… Créez un réseau social où les futurs candidats peuvent interagir avec les salariés en poste et… les anciens ! Qui peuvent revenir !
  • Offrez une série d’avantages destinés aussi aux familles : salles réservées aux mères qui allaitent, une assistance aux personnes qui envisagent l’adoption, une aide pour des frais de garde extérieurs…

Et plus que tout ? Fuyez l'égalitarisme, c'est à dire donner la même chose à chacun pour avoir la paix sociale à bas prix !

Valorisez plutôt l'équité !

C'est-à-dire identifiez et assumez dans vos équipes des différences qui profitent à tous ! Acceptez l’idée que vous serez forcément différent avec chaque membre de votre équipe.

L'équité, mère de toutes les vertus dans un monde en perpétuel mouvement et dans lequel, nul ne doit être « inemployable » !

 

1 : Romain Bendavid, « Plus rien ne sera jamais comme avant », Fondation Jean Jaurès, 2022.5 : L’étymologie du mot travail est « tripalium », c’est-à-dire un instrument de torture, un ustensile menaçant permettant de « tenir les animaux pour lesferrer ». Cette acception renvoie donc à une activité pénible, comme les représentations les plus lointaines, y compris bibliques, l’illustrent.

2 : Michel Lallement, « La valeur travail bat-elle vraiment de l’aile ? », AOC Média, 9 mars 2023.

3 : « Si cette soudaine démotivation est intéressante à analyser, c’est que le travail représentait historiquement dans la vie des Français quelque chose de particulier et avait une dimension statutaire très importante. Or, si les Français demeurent attachés à leur travail, celui- ci occupe une place beaucoup moins centrale dans leur vie qu’au début des années 1990, la Covid-19 n’ayant fait qu’accroître cette perte de centralité, comme l’a montré Romain Bendavid. En 1990, 60% des sondés répondaient que le travail était « très important » dans leur vie. Ils ne sont plus aujourd’huique 24% à faire cette réponse, soit un recul spectaculaire de 36 points en trente ans. Si la religion ou la famille ont également vu leur caractère trèsimportant dans la vie de nos concitoyens perdre du terrain, la chute, de l’ordre de 10 points, est sans commune mesure avec ce que l’on observe pour cequi est du travail. Dans le même temps, la centralité des loisirs dans la vie des Français s’est renforcée de 10 points, cette progression produisant une inversion des normes. Alors qu’en 1990, deux fois plus de sondés considéraient comme « très important » le travail (60%) par rapport aux loisirs (31%), cette hiérarchie est aujourd’hui renversée : 41% pour les loisirs versus 24% seulement pour le travail » (Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », 11/11/2022, Rapport Fondation Jean Jaurès).

4 : https://blog.linkedin.com/2018/september/28/your-guide-to-winning-work-decoding-the-sunday-scaries.

5 : L’étymologie du mot travail est « tripalium », c’est-à-dire un instrument de torture, un ustensile menaçant permettant de « tenir les animaux pour lesferrer ». Cette acception renvoie donc à une activité pénible, comme les représentations les plus lointaines, y compris bibliques, l’illustrent.

6 : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles. Du renoncement au monde, Grasset, 2022, p. 142.

7 : Bob Black, The Abolition of Work, Loompanics Unlimited, 1985.

8 : Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, 1882. Les philosophes de l'antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l'hommelibre. Un poète grec du temps de Cicérone, Antipapes, chantait ainsi l'invention du moulin à eau (pour la mouture du grain) : il allait émanciper les femmes esclaves et ramener l'âge d'or : " Epargnez le bras qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez paisiblement ! Que le coq vous avertisse en vain qu'il fait jour ! Dao a imposé aux nymphes le travail des esclaves et les voilà qui sautillent allègrement sur la roue et voilà que l'essieu ébranlé roule avec ses rais, faisant tourner la pesante pierre roulante. Vivons de la vie de nos pères et oisifs réjouissons- nousdes dons que la déesse accorde".

9 : Monologue du virus, Lundimatin#234, 21 mars 2020. On y lit avec « l’arrivée du virus » : « Sans vous en rendre compte, vous n’aviez jamaisemménagé dans votre propre existence. Vous étiez parmi les cartons, et vous ne le saviez pas. Vous allez désormais vivre avec vos proches.Vous allez habiter chez vous. Vous allez cesser d’être en transit vers la mort. Vous haïrez peut-être votre mari. Vous gerberez peut-être vos enfants. Peut-être l’envie vous prendra-t-elle de faire sauter le décor de votre vie quotidienne. A dire vrai, vous n’étiez plus au monde, dans cesmétropoles de la séparation. Votre monde n’était plus vivable en aucun de ses points qu’à la condition de fuir sans cesse. Il fallait s’étourdir de mouvement et de distractions tant la hideur avait gagné de présence. Et le fantomatique régnait entre les êtres. Tout était devenu tellement efficace que rien n’avaitplus de sens. Remerciez-moi pour tout cela, et bienvenue sur terre ! ».

10 : Pour Juan José Saer, « ce que nous appelons normalité n’est rien d’autre que le délire accepté de notre relation au monde ».

11 : On pourra penser, avec Philippe D’Iribarne, qu’un Français se sentira libre quand il peut faire un « beau » travail (comme un Concorde ouun bon plat), qu’il pourra agir de manière créative et qu’il pourra aussi tenir son rang, fidèle en cela à l'idéal franciscain de « la grandeur decelui qui sert ». Le Français sait ce qu’il a à faire ! Tandis qu’un Américain, par exemple, le sera davantage quand il applique un contrat légalement négocié (Philippe D’Iribarne, « Face à la complexité des cultures, le management interculturel exige une approche ethnologique »,Management International, HEC Montréal, numéro 3, volume 8, 2004).

12 : Philippe Pierre et Michel Sauquet, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022.

13 : Pour le sociologue André Gorz, la notion de travail conduit immanquablement à l’anonyme : « la notion de travail n’apparaît en son sens actuel qu’à mesure que la production et la consommation marchandes l’emportent sur l’autoproduction. On désigne alors par « travail » une activité fondamentalement différente des activités de subsistance, de reproduction, d’entretien et de soins accomplies au sein du ménage. […] Le travail est une activité payée […], il se situe dans l’espace public et y apparaît comme une prestation mesurable, échangeable et interchangeable : comme une prestation qui possède une valeur d’usage pour les autres et non pas simplement pour les membres de la communauté domestiquequi l’accomplit ; pour les autres en général".

14 : Eric Albert et allii, Pourquoi j’irais travailler ?, Eyrolles, 2003, p. 42.

15 : Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l'hybridation, Le Pommier, 2020, p. 20.

16 : Bob Black, The Abolition of Work, Loompanics Unlimited, 1985.

17 : Stéphane Haefliger, Pour en finir avec la Génération Y !, Bilan Ch, 20.09.2019.

18 : Stéphane Haefliger écrit : « Les jeunes générations ont un discours plus libéré, car elles ont moins de contraintes institutionnelles : elles n’ont donc rien à perdre et elles émettent volontiers des vœux pieux concernant leur cadre de travail. De plus, elles sont au bénéfice d’une autre histoire culturelle : elles n’ont vécu ni crises économiques majeures (du moins en Europe), ni guerre, ni chômage, ni déflation. Elles ont été biberonnées par des parents ouverts (ce qui leur donne une relation déliée et symétrique à l’autorité managériale), elles ont voyagé 10 fois plus que la générationprécédente grâce à Easy Jet et au sponsoring parental, ils s’expriment volontiers en plusieurs langues car beaucoup d’entre-eux sont bi-tri culturels. Ils observent donc le monde du travail avec d’autres yeux ».

19 : Renaud Sainsaulieu et Allii, Les mondes sociaux de l’entreprise, DDB, 1995.

20 : Depuis bien longtemps dans l’histoire, dans la société pré-moderne en quelque sorte, pour être, au final, intégrés, les individus sont contraints de se conformer aux règles d’un seul système social en surplomb, fait lui-même de types de liens sociaux, et qui conduisent à des passages, des conversions, des validations des anciens sur les jeunes…Serge Paugam distingue quatre types de liens sociaux : le lien de filiation (au sens des relations de parenté), le lien de participation élective (au sensdes relations entre proches choisis), le lien de participation organique (au sens de la solidarité organique et de l’intégration professionnelle) et lelien de citoyenneté (au sens des relations d’égalité entre membres d’une même communauté politique) (Serge Paugam, Le lien social, PUF, 2008).

21 : Stéphane Rozès a raison de souligner cette particularité française qui consiste, tout à la fois, à dénigrer « la » classe politique et à sacraliser « le » politique à travers une centralisation forte et perpétuée de son pouvoir vertical. En France, on sacralise et l’on se moque. Ce legs est trèsancien et court de la farce médiévale jusqu’à Coluche en passant par Corneille, Molière, Beaumarchais, ou Marivaux et bien d’autres. Le modèle de laloyauté, c’est aussi une « façon française » de se moquer de tout, de n’importe quoi et ce n’importe comment (Stéphane Rozès et Arnaud Benedetti, Chaos - Essai sur les imaginaires des peuples, Editions du Cerf, 2022, p. 53).

22 : Philippe D’Iribarne, La logique de l’honneur, Fayard, 1989

23 : Alain Eraly, Une démocratie sans autorité ?, Eres, 2019.24 : Jean-François Chanlat, 2023, à paraître.

24 : Jean-François Chanlat, 2023, à paraître

25 : Marc Halévy, Prospective 2015-2025. L'après-modernité, Éditions Dangles, 2013.

26 : Selon Michel Barabel, Professeur à Sciences-po

27 : Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l'hybridation, p. 23.

28 : Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l'hybridation, p. 22.

29 : Jérôme Fourquet, L’Archipel français, Le Seuil, 2019 ; Philippe Pierre et Michel Sauquet, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM,2022.

30 : Michael Kearney, "The Local and the Global: The Anthropology of Globalization and Transnationalism", Annual Review of Anthropology, 24,1995, p. 549.

31 : Monique Dagnaud, « Nouvelles élites : bifurquer de destin, sauver la planète, survivre (mieux) », Télos, 2 juin 2022.

32 : Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, La Découverte, 2013.

33 : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles : Du renoncement au monde, Grasset, 2022, p. 48.

34 : Felwine Sarr, Habiter le monde. Essai de politique relationnelle, Mémoire d'encrier, p. 12. Marc Halévy pointe la montée des tourisme

35 : Sophie Chapelle, « Promis à de brillantes carrières, des jeunes désertent pour « démanteler » le système », Basta !, 16 février 2023.

36 : Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », 11/11/2022, RapportFondation Jean Jaurès.

37 : Shawn Achor, The happiness advantage: The seven principles of positive psychology that fuel success and performance at work. Random House,2011.

38 : Renaud Sainsaulieu, L’identité au travail, PFNSP, 1977.

39 : Yves Clot (avec Jean-Yves Bonnefond, Antoine Bonnemain, Mylène Zittoun), Le prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans lesorganisations, La Découverte, 2021.

 

 

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Pierre
Pierre

Et si le but de la vie, c’était la vie. Et non le travail ?  Personne ne cherche réellement le travail pour le travail. Considérer le travail comme un moyen – et non une fin, une valeur morale – ne lui redonne-t-il pas finalement tout son sens ? Car on en fait une activité située dans le temps (on travaille pour un beau voyage à venir…) et pas une sorte de condamnation sourde.  Une valeur morale, c’est vouloir la chose pour elle-même, par elle-même, en elle-même. La générosité, par exemple, l’est. La diversité ne l’est pas à nos yeux. L’équité, si.  Les individus… Lire la suite »

Pierre
Pierre

C’est donc moi qui décide ! Un renversement de pouvoir s’est opéré sur le marché du travail, particulièrement vif dans nos bassins d’emplois en tension. Le salarié se savait consommateur ! Il l’est devenu dans sa propre entreprise. Cet individualisme – propre aux salariés, minoritaires dans notre pays, qui se sentent sécurisés et courtisés – prend différentes formes : libre expression des attentes en termes de salaires, de jours de congés supplémentaires, d’aménagement personnalisé du lieu de travail, de semaine de 4 jours… 

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