Billet 3/4 : « Grande Flemme » ou renouveau de l’engagement ?

Publié le 29 avril 2023

Par Eric Mellet

Catégories : Non classé

Comprendre le renouveau des formes d’engagement au travail.

Eric Mellet et Philippe Pierre

Quatre billets pour comprendre et agir !

 

Avec Philippe Pierre, nos actions de formation et de coaching ainsi que nos partages d'expérience réguliers, nous ont révélé à quel point la question de la place réelle du travail pour jeunes et moins jeunes était au coeur des préoccupations de nos clients. Que pointaient sans cesse de fortes interrogations sur une quête de sens au travail, une supposée baisse tendancielle de motivation, et plus largement, un renouveau des formes d’engagement dans la sphère du travail.

Nous serions à un moment charnière, à un tournant franchi. De 10,3 % de taux de chômage en 2015, au sens du BIT, nous sommes passés à 7,3 % de la population active fin 2022. En moyenne, une offre d’emploi attire désormais moins d’un candidat alors qu’ils étaient 2,60 à se manifester en 2021. Ces chiffres varient du simple au triple selon les secteurs. La branche de la santé attire, par exemple, une moyenne d’à peine 0,4 candidat par offre ! Plus de 4000 postes de professeurs étaient restés non pourvus en juillet 2022. Manquera-t-on, à nouveau, de candidates et candidats à la rentrée 2023 ?

La « désertion » vient toucher des professions cruciales pour le simple fonctionnement quotidien de notre société.

Alors que le travail a, pour la plupart d'entre nous, constitué le socle, voire le sens majeur de l'existence, il semble ne pas en être de même pour des personnes qui ont envie d’avoir plusieurs vies professionnelles à vivre en même temps ou de « sortir du système ».

Aussi, c'est à travers quatre billets que nous nous proposons de tenter un décryptage des dynamiques à l'œuvre et que nous conclurons par la force de la différence, chère à Norbert Alter, de celles et ceux que nous nommons « déviantes et déviants positifs ».

Pour cela, nous croiserons regards et expériences issus de nos formations, nos conférences, nos enseignements universitaires ou nos coachings et de quatre champs disciplinaires :

  • Sociologie de l’entreprise
  • Management Interculturel
  • Psychologie Positive
  • Organisation Apprenante ...

et de trois niveaux d'observation…

  • La société globale
  • Les cultures d’organisation
  • La vie en équipe avec des « déviants positifs »

Dans nos quatre billets, vous trouverez, et nous assumons ce choix, considérations sociologiques et conseils pratiques de management. Si le seul outil dont nous disposons est un marteau, tout autour de nous ressemblera à un clou !

Nous chercherons à déconstruire des idées-reçues telles que « les Français seraient paresseux, et bien plus que les Allemands ou les Scandinaves… », que la « Grande Démission » serait synonyme de « Grande Paresse », que la paresse c’est l’inaction et le repli sur soi, que les jeunes ne voudraient plus travailler et sont plus individualistes que leurs ainés, que la crise sanitaire aurait finalement inauguré, en trois années, un rapport inédit au travail....

Au-delà des discours définitifs ou tonitruants, une révolte plus silencieuse se propage et qui renvoie au type de société que nous voulons construire demain. Et si les symptômes d’une rupture de la jeunesse avec le « sens du travail » dissimulaient, en réalité, la forêt du doute et même de la résignation face à un certain avenir que l’on ne veut plus ? Les Stakhanov se transforment-ils en Oblomov, ce personnage du roman éponyme d'Ivan Gontcharov affecté par une indécrottable apathie et la tentation du divan ?

 

Dans un premier billet (Crise de l’engagement et « Grande Démission » dans une société en « archipel »), nous interrogeons la notion même de « Grande Démission », cherchons ses sources et en relativisons la portée.

Dans un deuxième billet (Vivons-nous réellement la fin de la centralité du travail dans nos vies et pourquoi ce "Grand Bouleversement" ?), nous explorons une demande généralisée d’aplatissement des structures hiérarchiques et, plus largement, une érosion des figures traditionnelles d’autorité.

Dans un troisième billet (Grande Flemme ou renouveau de l’engagement ?), nous mettons en doute certains effets de la technologie galopante sur le bien-être et soulignons une face plus sombre de la société de confort.

Dans un quatrième billet (La place des "déviants positifs"), nous en appelons à la force des atypiques et mettons en garde contre le « Grand Adéquationnisme» qui toujours célèbre mimétisme et entre-soi et ce, dès le recrutement. Nous valorisons la force de la rencontre et des atypiques si ceux-ci sont généreux et délivrent du résultat au-delà de leurs seules différences.

 

Nous sommes questionnés par David Lambert dirigeant de FuturGo, un cabinet conseil innovant dont les équipes sont convaincus que placer ensemble l'innovation au service des entreprises confère un avenir plus    sûr et qu’il convient de fonder un nouveau pacte de loyauté et d’engagement entre employeurs et employés.Billet 3/4 : « Grande Flemme » ou renouveau de l’engagement ?

 

Billet 3/4 : "Grande Flemme" ou renouveau de l"'engagement?

8 points en résumé :

 

Dans ce billet accessible sur www.mellet-consulting.com et sur www.philippepierre.com, derrière le terme de « Grande Flemme », la valorisation du temps libre, de la sphère domestique, du refus de se tuer à la tâche, de la volonté de commencer le repas par le dessert… nous pointons plusieurs phénomènes :

- La « Grande Flemme » illustre une remise en cause des promesses d’un pacte social basé sur une forte croissance économique, l'accroissement rapide du pouvoir d'achat et l'essor de la consommation de masse

- Le « turbo-capitalisme » peine à tenir ses promesses... Pour beaucoup, et depuis longtemps, l’entreprise est devenue « mortelle » et faire son travail ne suffit plus pour se garantir un avenir. Si personne ne me protège, pourquoi s’investir autant au travail et dans un temps de « loisirs » qui prête à caution ?

- Le phénomène de « Grande Flemme » n’est pas nouveau et la paresse n’est pas l’inaction

- Il faut associer « Grande Flemme » et recherche constante de confort. Et des limites de la "recherche de confort" sont à pointer dans une société de consommation qui rassure au prix d'une forme de passivité, de comportements régressifs où prédominent émotions et pulsions liées à la satisfaction instantanée

- Dans un monde de plus en plus "virtuel", ce qui fait défaut à la « loi » des écrans, c'est la « vraie » rencontre. En proximité physique. On la vit souvent dans des PME et ETI innovantes où la proximité n’est pas un vain mot !

- C’est le sens même de la place occupée par la technologie dans nos vies qui est questionné avec l’expression de « Grande Flemme »

- Dans un monde dominé par un désir insatiable que se promet de combler "la consommation", vivre la frustration est de plus en plus difficile

- Ne nous résignons pas à inventer un autre régime de vérité au sein des organisations et plus largement dans notre société qui place la rencontre au cœur des préoccupations sociales ! Et nous croyons, pour cela, en la force des principes de l’Organisation Apprenante.

 

Vous croiserez, dans ce billet, un chien tout à fait décontracté, un rapport de la DARES, Michel Delpech, deux types de capitalisme, Emile Durkheim, Stefano Boni, un homme allongé, des appels à fuir le travail salarié, et même le travail tout court, un vrai paresseux, les promesses de "l’Organisation Apprenante"…

 

"Grande Flemme" ?

Debout, la France t’attend !

Le 11 novembre 2022, Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier titrent leur rapport à la Fondation Jean Jaurès : « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces ».

Valorisation du temps libre, de la sphère privée, équilibre revendiqué entre vie personnelle et vie professionnelle… une forme sombre de Covid long toucherait pourtant la sphère du travail et celle de la motivation de nos contemporains.

 

Seuls 12% des sondés se disent plus motivés qu’avant dans ce qu’ils font au quotidien, contre donc près d’un sur trois qui l’est moins. Les plus jeunes disent être les moins motivés, particulièrement en grandes villes. « On s’aperçoit que ces derniers ont perdu, par exemple, un quart de leur capacité pulmonaire en raison du développement de la sédentarité, alimentée notamment par les écrans » peut-on lire dans le rapport.  Conséquence : les jeunes français de 2022 mettraient 90 secondes de plus à courir 1 600 mètres qu’il y a trente ans.

 

Quatre français sur dix se sentent plus fatigués qu’avant la pandémie. Notre corps social est-il moins résilient ?

Près d’un quart des salariés français sont actuellement en télétravail à hauteur de trois jours ou plus par semaine.« La perte de motivation au travail touche davantage les jeunes actifs (46% des 25-34 ans), mais aussi les cadres (44%) et les professions intermédiaires (43%), contre 34% « seulement » parmi les employés et ouvriers, catégories dont on notera qu’elles sont moins concernées par le télétravail » [1].

Un mouvement d’aplatissement des structures hiérarchiques en organisation se poursuit. Depuis longtemps, les attributs visibles de l’autorité se sont brouillés - et c’est heureux - quand les cafétérias remplacent les cantines destinées aux cadres, que le pointage n’est pas une obligation et que l’on entre tous par la même porte dans l’entreprise. Un peu partout, les cravates comme symbole vertical de l’autorité, restent rangées dans les placards. Ce qui ne veut surtout pas dire que les rapports de pouvoir et de domination ont disparu. L’apparence reste l’apparence.

 

Le travail est-il émancipateur et fait-il partie de notre identité, ce que défendait la philosophe Simone Weil ?

Ou faut-il chercher ailleurs la source de son accomplissement, et épouser ainsi la thèse d’une Hannah Arendt ?

Témoignage de notre temps, Le Petit Robert a informé que le terme « chiller » (de l’anglais « to chill » : prendre du bon temps à ne rien faire) a fait son apparition dans son édition 2023.

 

 

Cool ya

 

 

David Lambert (Dirigeant de FuturGo) : Nous constatons que les Français apparaissent de plus en plus fatigués, que la brusque montée des emplois vacants quand le travail est pénible (bâtiment, santé, restauration…) désoriente nombre de décideurs et qu’un ressenti palpable d’une démotivation fait rage.
L’enquête "Conditions de travail" - réalisée depuis 1978 par la DARES du Ministère du Travail - place d’ailleurs la France en queue de peloton européen qu’il s’agisse des accidents du travail, des problèmes de stress, de la dépression et d’anxiété ou de l’intensité du travail. Or, paradoxe, le taux d’activité n’a jamais été aussi élevé avec des politiques ciblées d’apprentissage et d’emploi des seniors (68, 3 % des 15-64 ans selon l’INSEE, son plus haut niveau depuis 1975). Qu’est-ce-ce que cela vous inspire ?
 

 

Prenons ensemble un peu de recul. Au sortir des années quatre-vingt, la perspective développée par Renaud Sainsaulieu [2] et quelques autres, sous le nom de sociologie de l'entreprise, ouvrent de nouveaux champs d'investigations sur le sens donné au travail. L'entreprise est devenue un objet d'analyse légitime.

Les écrits de Renaud Sainsaulieu sont très inspirants. Ils invitent d’ailleurs à souligner que si une crise de l’engagement, du                   « consentement » pour les individus dans la société fait rage en 2023, la fonction identitaire du travail (au travers de l’appartenance à un groupe professionnel, à une ou plusieurs entreprises) reste vive. Les organisations sont bien toujours des lieux d'apprentissage, de définition et de transformation de soi pour des individus devenus certes plus pluriels et volatiles encore qu’il y a vingt ans.

Nous voudrions souligner que la vacuité du sens de l’existence, et notamment des charges professionnelles, n’est en rien nouvelle. En témoigne, par exemple, cet extrait d’une chanson populaire de 1976, qui dit :

« Quand il est descendu pour acheter des cigarettes
Jean-Pierre savait déjà qu'il ne reviendrait plus jamais
Il a pensé encore à toute sa vie avec Michelle
Et puis il a tourné enfin le coin d'la rue
Michelle aurait voulu le voir grandir dans l'entreprise
Mais lui n'se voyait pas finir ses jours au marketing
Avec dans son café les cours de la livre sterling
Et des enfants qui lui ressembleraient de plus en plus
Voilà pourquoi ce lundi-là il s'en allait
Voilà pourquoi ce lundi-là il s'en allait[3] » 

 

Un peu plus loin dans la chanson, on entend :

 

« Il n'en pouvait plus de vivre déjà comme un vieux
Le but de sa vie n'était pas d'avoir un jour un compte en Suisse
Ce n'était pas l'argent qui lui manquait pour être heureux »

Et encore un peu plus loin :

 

« La crise entraînerait encore des conversations sans fin 
Mais demain à deux heures il serait loin » 

 (Michel Delpech, Ce lundi là...)

Il est frappant dans ce texte de constater qu’en 1976, déjà, le mot de crise.

Toutes les époques semblent avoir été aussi le théâtre d’une condamnation de la jeune génération : en 1974, Jean Rousselet publiait L’allergie au travail.

 

 

David Lambert : Vous défendez l’idée qu’une partie de nos contemporains, de plus en plus nombreux, remettent en cause la nature du pacte social - et même moral - aujourd’hui proposé par les entreprises et, plus largement, les instances dominantes de pouvoir.
Alors, quelles explications d’ordre macro-économique donner à cette « Grande Flemme » ? Déconnexion entre offre et demande d’emploi, déficit d’orientation d’une partie de la jeunesse, incapacité de certaines filières de formation à répondre aux besoins des employeurs…

 

 

Nous distinguons clairement deux types de capitalisme. Beaucoup de grandes entreprises du « turbo-capitalisme » ont en quelque sorte renversé le pacte social qui les unissait à leurs collaborateurs en individualisant leurs parcours professionnels, en les rendant acteurs de leur développement professionnel mais en faisant peser sur eux toute la charge d’un échec. Pour ces grandes structures anonymes – que nous distinguons des TPE, PME et ETI souvent très innovantes - la notion de carrière a ainsi été vidée de son sens premier qui était la protection des anciens, des fragiles, des vulnérables… et remplacée par celle d’employabilité.

 

Tandis que se fait croissante la difficulté à apprécier le prix de l’erreur et la nature des efforts consentis, beaucoup de décisions en entreprise prennent leurs effets quand leurs auteurs sont partis ou ont été promus ailleurs, que le marché s’est retourné sans que personne en soit réellement le responsable… [4]

 

Partout, s’étend le passage d’une culture de l’effort (« j’ai fait tout ce que j’ai pu ») à une culture du résultat (« débrouillez-vous pour tenir vos objectifs ») [5]. Les écarts se creusent entre gagnants et perdants du marché du travail. Certains salariés sont plus autonomes en même temps qu’ils sont plus exposés aux incertitudes du marché, aux impératifs de la performance maximale, à la gouvernance par les chiffres [6].

 

Ces grandes entreprises mettent souvent en place des stratégies de marketing RH et cherchent à renforcer leur « marque employeur » en développant l’expérience collaborateurs pour attirer les meilleurs candidats. Mais ce faisant, souvent, elles ne font que renforcer le rapport consumériste des salariés, un comportement qui semble désormais se retourner contre elles. Un catalogue de mesures ne fera jamais, à lui seul, une bonne politique de gestion des ressources humaines.

 

 

David Lambert : Dans le même temps, la grande entreprise est devenue « mortelle », pour reprendre une expression de Renaud Sainsaulieu, et faire son travail ne suffit plus pour se garantir un avenir.

 

Nous entendons, depuis longtemps, que l’entreprise n’a pas de mémoire, que ce sont les femmes et les hommes que la dirigent ou la composent qui en ont mais, comme tout le monde, ces personnes sont de passage ! Beaucoup comptent dès lors sur leur propre employabilité et donc sur personne d’autre qu’eux-mêmes ! Ceci ne nourrit pas de perspectives très réjouissantes.

Le rapport de force employeur-employé et la dépendance salariés-entreprises sont d’une autre nature quand les organisations se complexifient et qu’il est plus difficile de donner un cap (pourquoi on est là) et un cadre (savoir dire comment on doit faire). De ce point de vue, les TPE, PME et ETI ont en commun la proximité managériale comme force et ne veulent pas entrer dans les dérives de la seule logique financière à court terme. Leur vigueur réside notamment en la capacité de l’équipe dirigeante à dire « voilà où l’on va ensemble » [7].

 

 

David Lambert : Vous associez « Grande Flemme » et recherche de confort ?

 

Nos temps contemporains peuvent se comprendre comme une marche continue vers le confort, c’est-à dire la volonté de se soustraire aux désagréments d’une vie de labeur en les déléguant, d’une part, à d’autres individus vus comme de rang inférieur (pensons aux livreurs à vélo ou aux travailleurs « aux clics ») et en démultipliant, d’autre part, les processus techniques et préprogrammés qui réduisent la part de l’effort humain (pensons au fil à la patte de nos smartphones).

 

Pour beaucoup de managers, leurs vies continuent d’alterner « trois repas, ponctués par la sonnerie du portable, les visioconférences et les programmes de l’écran plat » [8]. Avec la pandémie et ses effets, Pascal Bruckner note « qu’en savates ou en jogging, assignés à un périmètre de promenade autorisé, nous avons été priés de renoncer à tout ce qui sur cette Terre ressort de l’étonnement, de l’inconnu, de la nouveauté » [9].

 

 

David Lambert : Cette remise en cause de la centralité du travail dans nos vies a donc à voir, selon vous, avec l’insatisfaction croissante vis-à-vis d’un certain manque de confort matériel ?

 

Notre société se fragmente sous l’effet de la demande de confort. Une sorte de jouissance sédative de la routine [10]. La petite production artisanale s’efface au profit d’une consommation de masse à bas prix, celle qui s’achète sur internet et se livre au plus vite. La montée en puissance de « domestiques 2.0 ». Qui est un effet direct de ce que nous nommons « turbo-capitalisme ». Celui de partisans privilégiés d’une certaine forme de « travail » parce qu’ils comptent précisément faire accomplir leur labeur par d’autres.

 

" Plutôt que de se rendre au restau entre amis, on se fait livrer des burgers que l'on dévore devant Netflix. Plutôt que d'aller faire la fête sur le dernier tube de Rihanna, on fait le ménage et on planifie notre semaine à venir »... pouvait-on lire récemment dans un grand quotidien du soir. Se simplifier la vie en modernisant sans cesse nos appareillages techniques, tout et tout le temps. En témoigne, par exemple, le marché de la street food avec les tacos, les pizzas, les bo bun ou kebab adaptés au mode de vie des jeunes adultes (restauration rapide, bon marché et servie à toute heure).

Tout cela consacre une montée de l’individualisme et cela n’est pas nouveau. Mais nous vivons de plus en plus un "manque à faire peuple" autrement qu’avec le partage de marchandises et de temps de loisirs.

 

Et là encore, rien de neuf sous le soleil… Tout changement provoque des troubles dont souffrent les humains. Emile Durkheim, déjà, soulignait le fléau de l’« anomie », le danger de la désintégration du lien social et d’une vie dépourvue de signification tandis que la peur d’une « foule » formée d’individus atomisés, puis soudainement réunis en « masse » incontrôlable, existait chez Gustave Le Bon, Henry Fournial ou Gabriel Tarde.

C'est qu'explique Stefano Boni, enseignant en anthropologie culturelle et politique dans son ouvrage Homo Confort. "Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, est qu’en « nous privant de toute expérience considérée comme désagréable ou négative, le confort nous enferme dans un cocon protecteur qui nous coupe du monde extérieur et de nous-mêmes, de tout ce qui fait le « sel de la vie » et contribue à nous rendre pleinement humains". Nous partageons cette thèse.

Le capitalisme dopé aux NTIC encourage cette expansion artificielle des sens (ultrasons, rayons infrarouges, microscopes, lumières artificielles, présence virtuelle et demain téléportation, réincarnation) pour de bonnes causes. La médecine notamment. Mais la vie digitale et l’american way of life [11] généralisent la substitution mécanique à tout type d’effort. L’utile, le « friendly », l’accessible… deviennent les critères du bon. Le bien-être léthargique une posture souhaitable et la distance physique, entre les corps, un prérequis de toute entrée en relation.

 

L’essentiel, pour beaucoup d’entre nous, est se faire livrer, ne pas se déplacer, de donner son avis, de « micro-communiquer » … Ce qui faisait dire à Alain Souchon  :

"Oh la la la vie en rose

Le rose qu'on nous propose

D'avoir les quantités d'choses

Qui donnent envie d'autre chose

Aïe, on nous fait croire

Que le bonheur c'est d'avoir

De l'avoir plein nos armoires

Dérisions de nous dérisoires car

 

Foule sentimentale

On a soif d'idéal

Attirée par les étoiles, les voiles

Que des choses pas commerciales

Foule sentimentale

Il faut voir comme on nous parle

Comme on nous parle..."

 

Il est d’ailleurs croustillant de constater qu’un certain ordre libéral réintègre tout, tout le temps.

 

Le PDG de Google, Sundar Pichai, dans un discours d'une minute, a cité l'ancien PDG de Coca Cola et a déclaré :

« Imaginez que la vie est un jeu de 5 balles avec lesquelles vous jonglez en l'air, en essayant de ne laisser tomber aucune de ces balles. L'une d'entre elles est en caoutchouc, et les autres sont en verre.

Les cinq boules sont : travail, famille, santé, amis, âme.


Vous ne tarderez pas à réaliser que (le travail) est une balle en caoutchouc. Chaque fois que vous tombez, vous sautez à nouveau, tandis que les autres balles sont en verre. Si l'une d'elles tombe, elle ne reprendra pas sa forme initiale. Elle sera endommagée, meurtrie, fissurée ou même dispersée.

Vous devez en être conscient et vous efforcer de faire ce qui suit :


Gérez efficacement votre travail pendant les heures de travail, prenez le temps de vous assurer de votre sincérité, accordez le temps nécessaire à votre famille et à vos amis, prenez un repos approprié et prenez soin de votre santé
 » [12].

 

 

 

 

Relax Max

Photo de Rayner Simpson sur Unsplash

 

 

David Lambert : Loin d'être une seule conséquence de la pandémie, notre recherche perpétuelle du confort résulte donc, selon vous, d'un système technologique et institutionnel bien particulier. Et cette envie constante d'éviter contrainte, effort ou fatigue aurait-elle un coût non seulement économique, mais aussi sensuel, moral et environnemental ? Vous avez évoqué, dans un de vos ouvrages, une érosion de la confiance en son prochain [13]. Vivons-nous la peur d'un monde qui s'effondre où la rencontre avec l'altérité est source d'angoisse ?

 

Pour se connaitre, il faut travailler ensemble mais de plus en plus de personnes semblent réticentes à un retour physique au travail. Nous pointons aussi une société fragmentée dans la mise à distance des autres d’une autre condition sociale.

D’abord, parce que les univers digitaux et les réseaux sociaux ont tendance à nous faire communiquer avec des gens qui nous ressemblent.

L’absence de mixité sociale est aussi le résultat d’une ségrégation spatiale, notamment dans les espaces urbains, où la société est organisée pour orienter nos faits et gestes en fonction de notre condition sociale et de notre portefeuille. Les files d’attente à l’aéroport, les classes du train, la privatisation des plages… en sont autant d’exemples tangibles.

Aller aujourd’hui à la rencontre d’une personne d’une autre condition sociale, du fait des méthodes de triage, du coût de l’immobilier, de l’absence de lieux pour se retrouver… est devenu plus difficile qu’il y a cinquante ans dans beaucoup de nos villes et de nos villages.

 

Pour ceux qui sont tétanisés par les étrangers, ce n’est pas l’augmentation mais la réduction ou le très faible nombre de leurs interactions avec ces personnes qui fait chuter leur seuil de tolérance à l’inconnu [14]. Ce qui fait défaut est la rencontre.

La crise sanitaire a produit, de plus, une intériorisation de normes sociales hygiéniques dont nous subissons certaines conséquences néfastes [15]. Stefano Boni montre très bien que « les sens ne dialoguent plus uniquement, ni même principalement, avec le milieu naturel, les autres humains et notre propre corps, mais avec des machines et des objets industriels » [16]. Et dans un monde peuplé d’objets produits en série, un malaise propre à l’atrophie des sens survient vite... Prenons l’exemple des modalités du toucher.

Aimer, autrefois, c’était se rapprocher. Plus vraiment aujourd’hui avec les effets de la pandémie. La crise sanitaire liée à la Covid 19 a consacré la maladie personnelle et la mondialisation générale. Le phénomène le plus intime, vécu, éprouvé dans notre corps singulier, quand l’animal humain se recroqueville sur lui-même, a rencontré l’événement le plus large, qui organise aujourd’hui notre vie sociale [17].

 

L’écrivain Patrick Chamoiseau parle de domination de nos imaginaires par un dogme de la consommation facile [18].

« Nous n’avons pas été éjectés du contact avec les autres ou de la vie, mais des mécaniques du boulot-dodo-boulot, des compulsions consuméristes, de la course aux loisirs névrotiques, au  driving  du Caddie, aux grenouillages corporatistes…

Une existence sans idéal, sans engagement, sans rien qui dépasse ses propres étroitesses. Cette passion sans ailes a fini par creuser un immense vide à l’intérieur de chacun d’entre nous. Dès lors, de par le monde, en plus d’une immersion dans des réduits de pauvreté et de misère matérielles, des millions de couples se découvrent invivables et morts depuis longtemps. Des familles se révèlent à elles-mêmes incapables de faire famille avec des enfants qui leur apparaissent, au mieux comme des étrangers, au pire comme des monstres.

Et quand ces enfants sont des anges, des millions de personnes ne savent plus comment faire-parents, vivre-avec, rire-avec, œuvrer-avec tout simplement, sans permissivité démissionnaire ou fuite dans la consommation compulsive de loisirs…

Tout cela ne serait pas perçu dans le « confinement à l’air libre » du néolibéralisme.

Dans l’actuel « confinement sanitaire », qui est de fait un « déconfinement-politique-et-humain » , et malgré la pédagogie des psychologues et psychiatres de médias, notre vacuité nous devient perceptible de manière plus ou moins douloureuse, plus ou moins obscure. Ce qui peut laisser craindre le pire… »

 

 

DigitalEra

Photo de Cottonbro-studio sur Unsplash

 

Si cela fait longtemps que les sociétés occidentales ont choisi la distance, les effets longs de la Covid-19 amplifient une vie d’écran aux antipodes de la connaissance manuelle et des rapports tactiles avec les autres êtres. Le toucher (manger avec ses doigts, tâter les produits que l’on achète, découper du poisson ou des viandes, couper son bois…) dans l’appréhension du monde renvoie, aujourd’hui, sinon à des formes d’arriération du moins à des actes dont la majorité d’entre nous cherche à s’éloigner.

Michel Serres, dans son livre Petite Poucette, avait su pointer aussi cette baisse de l’entrechoquement des corps physiques (les billes, les soldats de plomb, les poupées d’autrefois…) et ce passage à l’effleurement, d’un monde de la confrontation à celui du « copier-coller » du bout des doigts sur un écran.

 

Nos temps contemporains sont ceux d’une plus faible activation sensorielle de la main liée à l’interaction avec les machines. La relation optique se substitue à la dimension haptique, l’impression supplante la matérialité d’un ressenti, le flux continu se moque bien des phases lunaires et des lumières périodiques ou des combustions ignées. Loin de nous les paysans de Georges Latour et sa peinture en clair-obscur ! « En somme, nous ne touchons quasiment plus que des surfaces artificielles » [19] tandis que la vue s’affirme comme le « sens hégémonique » de la modernité, selon l’expression de David Le Breton [20].

Si nous ne savons plus quoi faire de nos dix doigts, les gants en plastique amplifient sans cesse cette distance physique, cognitive et émotive qui existe entre le monde et nos mains et que la crise sanitaire a pu renforcer après des années de disettes sexuelles liées au Sida[21].

 

Depuis que les mots ont été tapés mécaniquement, nos rythmes se sont accélérés constamment et, dans le même temps, avons perdu, en trente ans, une heure trente de sommeil.  « Une lettre rédigée à la main est une chose vieillie et non désirable, qui gêne une lecture hâtive »[22]. Les temps sont à ce qui demande peu d’efforts de la part du sujet, à ce qui accapare à distance, par l’oeil. Un monde humain en lecture rapide, comme celui de certaines chaines d’information continue. Et de la pensée courte. Un monde qui vise à annuler la distance entre imagination et réalité en nous présentant deux types de personnages sociaux : ceux qui ont vue mer à l’année et ceux qui sombrent en mer du fait de leur condition de migrant.

 

David Lambert : Vous pointez aussi un besoin de trouver du sens et de s'engager dans l'action qui nourrit l'autonomie et donne de l'énergie de vivre et de créer, inventer...

 

Un bureau individuel, un statut de manager, une voiture de fonction... Ces attributs hiérarchiques pyramidaux que l’on associait autrefois à la réussite semblent davantage ignorés par une nouvelle génération de jeunes cadres qui condamnent les privilèges du mode de vie « en illimité » des « boomers ». Prenons l’exemple de l’effet négatif des open spaces. Ainsi, d’après une enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Selkis réalisée en 2021, 21% de l’ensemble des salariés français travaillent aujourd’hui en open space, ce qui représente 35% des salariés travaillant dans un bureau, et 10% en flex office, soit 16% des salariés travaillant dans un bureau. Et parmi ces derniers, 36% considèrent que la configuration de leur espace de travail a un impact négatif sur leur santé, alors que cette proportion est deux fois moindre (17%) parmi les salariés qui ne sont pas en flex office, et qui ont donc une place attitrée[23].

Plus largement, la critique de la machine marchande et de la laide homogénéisation du monde, la défense du multiple et de la nature font partie du discours d’une partie des jeunes français et il s’agit, pour eux, de limiter le champ des possibles, des déplacements physiques, de manger de la viande différemment ou plus, d’envisager le travail autrement pour échapper au productivisme et à des vies moins cyniques…

Force est de constater la généralisation, pour des populations de plus en plus nombreuses, d’une désillusion face aux promesses du mode de vie consumériste, la perspective d’un retour à la terre, à certains modes de vies antérieurs, à des activités spirituelles, des exercices de relaxation, des soins naturels... oubliés avec la vie en ville. Pour ces populations, le travail, entendez salarié, est ce que l'homme a trouvé de mieux pour ne rien faire de sa vie [24] !

 

David Lambert : Une partie de notre jeunesse semble même porter une critique sociale plus radicale. Celle des conséquences d’un monde techno-industriel face à ce qui serait un désastre écologique et social en cours.

 

 

Vous avez raison. Cette critique est d’ailleurs ancienne. Pensons aux « Bullshit Job » de David Graeber, aux « Boulots de merde » de Julien Brygo et Olivier Cyran, au Manifeste contre le travail du groupe Krisis ou encore au Manifeste des chômeurs heureux, collectif situationniste qui occupa l'espace public de manière provocatrice, avec des transats et parasols, pour rappeler que les chômeurs et précaires sont isolés et non représentés dans notre société européenne, et que les luttes pour les droits des chômeurs ne sont pas aussi populaires que celles pour la retraite.

Pour une frange activiste de la jeunesse, il s’agirait même d’accompagner la désertion du travail salarié. De se réancrer dans une existence matérielle en lien avec le vivant (apiculture, ébénisterie, maraîchage…). Un manifeste de 2021 s’adresse « aux ingénieur.e.s déchu.e.s » et se baptise « Courage fuyons ». On y lit : « Nous nous adressons à vous ingénieur.e.s en quête de sens, en volonté de fuite ou ayant déserté. C’est un appel à s’organiser concrètement en dehors des systèmes qui nous ont façonné et que l’on continue d’entretenir, pour penser et mettre en œuvre leurs démantelements. Et favoriser le développement des énergies renouvelables et la transition énergétique (lignes électriques, fermes éoliennes, champs de panneaux solaires…) ».

Dans cet appel « Courage fuyons », on y critique « la fascination de la technologie et son solutionnisme », l’obsession économique du « toujours plus » (« la relance, la relance, la relance ! »), mais aussi l’idée que l’Occident s’est habituée à croire qu’elle détient « le monopole de l’ingéniosité, de la compréhension du monde et de ses systèmes ».

 

Dans cet appel voulant rompre avec le diktat de la logique capitaliste, on fustige ce défi stérile des techniques qui a pris la nature pour ennemie : « c’est quoi le jeu, vivre mieux et plus vieux, suivre nos désirs de toujours plus de confort et moins d’effort ? Wahou, et pourquoi pas finir comme un gros, très gros tas de données alimenté par une centrale ! » Pourquoi construire « un monde désastreux où nos moindres gestes sont observés, traduits en données pour nourrir des machines qui prennent les décisions à notre place ?» [25] 

Dans cet appel à récupérer une terre qui est la nôtre, une diplômée s’y exprime à l’occasion de son refus de poursuivre sur la voie de l’emploi dans de grandes entreprises : « On nous a martelé (…) que c’est en intégrant des entreprises que nous pourrons avoir un impact, que c’est de l’intérieur que nous pouvons changer le système en tant qu’ingénieur.e.s, et on récolte aujourd’hui à la pelle les témoignages d’ingéneiur.e.s ne pouvant plus vivre cette dissonance, qui se sont épuisés à essayer d’amener des réflexions à leur entreprise sur ses impacts écologiques et sociaux… » [26].

 

« J’ai cessé de vivre en incohérence avec ce qui m’habite. Je cesse cette disonnance entre les cris de mon cœur et la production de mon cerveau ». « Il n’était plus possible pour moi de me demander comment faire ce en quoi je crois lorsque ce que je suis est par essence ce que je veux combattre ? » poursuit-elle tout en pointant la solitude angoissée des monades métropolitaines et une bourse à son plus haut historique en pleine guerre en Ukraine.

« Cette machine infernale qui exproprie, expulse, extraie, rase, bétonne, isole, contrôle, réprime, tue, déforeste, pollue, emprisonne, empoisonne, rationalise, industrialise, quantifie, valorise, processe, développe, optimise… n’est plus la mienne » [27].  Ces propos nous rappellent les propos de Jean-Paul Sartre : « il existe donc une contradiction très particulière en moi : j’écris encore des livres pour la bourgeoisie et je me sens solidaire des travailleurs qui veulent la renverser » [28].

 

 

David Lambert : On parle de plus en plus, du reste, de droit à la paresse. D’un temps à venir où les chômeurs ne devraient pas se dire malheureux pour la seule raison qu’ils n’ont pas de travail. Bob Black, figure américaine de la critique sociale, a écrit : « Nul ne devrait jamais travailler. Prolétaires du monde entier, reposez-vous ! » [29]

 

Il y a sûrement quelque plaisir à n’y être pour personne et, d’ailleurs, reconnaissons que la paresse n’est pas l’inaction. Cette aspiration à revenir ou à aller vers une vie débarrassée du travail est très ancienne. Elle est présente dans nombre de traités d’histoire sociale et culturelle, notamment ceux de l’Europe pré-industrielle.

La paresse peut s’entendre comme condition pour atteindre à une qualité supérieure de la vie et non comme action du rentier qui vit du travail d'autrui ou du voleur qui rêve d’accumuler de l’argent pour se cacher [30].

 

Bob Black, que vous citez, fustige la notion même de « loisirs » parce qu’il la rattache à l’ordre marchand tout puissant et à ses catégories : « Je n’apprécie pas plus cette soupape bien gérée et encadrée qu’on appelle « loisirs ». Loin de là. Les loisirs ne produisent que du non-travail au nom du travail. Les loisirs sont composés du temps passé à se reposer des fatigues du boulot et à essayer frénétiquement, mais en vain, d’en oublier l’existence. De nombreuses personnes reviennent de vacances avec un air si abattu que l’on dirait qu’elles retournent bosser pour se reposer » [31]. Ici, les loisirs ne sont plus un moment dédié à la paresse, à la liberté, à la rêverie, mais à la préparation physique pour affronter le travail le « lundi suivant ». Pour Bob Black, il faudrait reconsidérer la condition première de l’Humanité, sans gouvernements ni propriété, celle où nous étions nomades chasseurs et cueilleurs. Il aime à rappeler que d’après Paul Lafargue, « un quart du calendrier des paysans français était constitué de dimanches et de jours de fêtes ». Et qu'« Alexandre Chayanov, étudiant les villages de la Russie tsariste - qu’on ne peut guère qualifier de société progressiste - montre de même que les paysans consacraient entre un cinquième et un quart des jours de l’année au repos ».

 

 

Paresseux

 

David Lambert : Vous célébrez ici la force d’une certaine jeunesse ?

 

Oui. Celle de Cincinnatus, général romain retourné à ses charrues, plus que de César. Celle qui pense que ce qui est économe est esthétique. Que l’air des villes ne rend pas plus libre. Celle qui veut se rendre utile avec le réemploi, l’économie circulaire (Le Relais, Envie, Vitamine T…), l’alimentation et le maraichage bio (Les Jardins de Cocagnes, Les Relais solidaires…), la logistique du dernier kilomètre, l’écohabitat, les coopératives d’activité et d’emploi... Ouvrons les yeux. Ces jeunes sont nombreux. En bonne harmonie le plus souvent avec des anciens qui veulent aussi travailler dans de nouvelles organisations qui ne sont pas vouées à enrichir les seuls actionnaires et qui cherchent à se mettre au service du bien commun.

Cette jeunesse revalorise les métiers agricoles et artisanaux, veut retravailler les mots de souveraineté et sobriété. Cette jeunesse veut reprendre la main sur nos choix de société, les systèmes alimentaires, énergétiques et politiques. Elle veut fonder des rapports autres que monétaires et cultiver la solidarité. Quoi de plus rassurant pour nous, cinquantenaires, que de voir agir cette jeunesse créer des lieux, des principes, mutualiser, créer des brasseries associatives, des réseaux de ravitaillement alimentaire, des ressourceries, des recycleries, des espaces de gratuité… Au risque de son idéalisation !

 

Dans le Manifeste des Chômeurs Heureux, on peut lire : « L’utopiste dresse au millimètre les plans d’une construction supposée idéale, et attend que le monde vienne se couler dans ce moule. Le Chômeur Heureux, lui, serait plutôt un "topiste", il bricole et expérimente à partir de lieux et d’objets qui sont à portée de main. Il ne construit pas de système, mais cherche toutes les occasions et possibilités d’améliorer son environnement ».

 

David Lambert : La « Grande Démission » ou la « Grande Flemme » seraient aussi liée à la croissance du télétravail. Et là, le constat est plus sombre ! Et cette jeunesse – clairement idéalisée dans vos propos – semble directement concernée ! Elle qui est née avec un portable dans la main…

 

 Que voulez-vous dire ?

 

David Lambert : Que la numérisation massive de nos modes de vie et notre dépendance aux grandes plateformes auraient un coût politique et écologique massif : isolement individuel, hystérisation du débat public, primat de l’émotion, etc. Certains dénoncent le bombardement attentionnel quotidien dont est victime notre cerveau avec plus de dix heures chaque jour pour certains… Qu’est-ce que cela vous inspire ?

 

Une lecture contrastée.

 

Qu’est-ce qu’une réunion à l’écran via Zoom ou Teams ? C’est d’abord la possibilité de réduire la dépense énergétique et pouvoir réduire la fatigue liée au déplacement physique. Ce qui est une bonne chose. C’est aussi parfois la possibilité de réduire le temps de réunions en présentiel trop longues et finalement assez vides de sens. Mais nous avons le sentiment que pour un certain nombre de salariés, la vie au travail se résume à apprendre à être présent-absent en réunion. On y apprend surtout à avoir de la fuite dans les idées !

C’est également la réduction de l’expérience humaine et de la coordination motrice à ses seules dimensions visuelles et auditives, c’est l’habitude d’un échange où l’on converse ou babille plus que l’on y argumente, c’est la permission d’être (un peu) là et (beaucoup) ailleurs en même temps, c’est la pollution de notre ouïe par des bruits parasites incessants, c’est le passage du face-à-face au sein duquel l’impact d’une voix était limité par sa puissance, à une vie en société où l’on duplique, délocalise, amplifie, métamorphose, sature les sons, les perspectives, les présences avatardisées ...

 

Qu’est-ce qu’une vie Zoom ou Teams ? C’est une instance et une expérience de « déterritorialisation » sous la bénédiction des pouces levés et des icônes. L’expérience quotidienne des médias à portée de doigt. La présence vécue du médium qui nous capte et qui est au moins aussi importante que la nature du message transmis [32].

Une vie en « mode zoombie » encourage l’hyper-maîtrise du temps de chacun. Et son hyper-contrôle. C’est aussi est une connaissance du monde réduite à la culture « picto », celle des écrans et des lectures rapides, celle de l’abstrait sur le concret des corps. De même que nous nous contentons de plus en plus de recevoir des images produites ailleurs, avec elles, notre regard se fixe de moins en moins sur ce qui l’entoure. Comme dans un train lancé à très grande vitesse. Un monde de comportements rapides, normés, précis, ponctuels…

C’est, selon la définition caustique de Ivan Illich, « une société de joggers du matin immobilisés tout le reste de la journée ». C’est une vie de compensation avec la croissance de plateformes vibrantes ou d’appareils d’électrostimulation pour satisfaire un besoin naturel de mouvement contrarié.

Stefano Boni a écrit : « voici enfin la vie dont Homo confort a tant rêvé : textes, images, vidéos, informations apparaissent et disparaissent sous ses yeux comme par magie, en faisant simplement glisser son doigt sur un écran » [33]. Contrôler le milieu environnant par un désir de « Petite Poucette » [34].

 

Qu’est-ce qu’une vie en réunions via Zoom ou Teams ? Le bien-être réside dans le contrôle de son alimentation, la réduction du temps passé à table et celui des siestes. Une sorte de punition des plaisirs de la table et la multiplication des temps « sandwich ou Bo-Bun », seul avec tous devant son écran.

« Une de lois du turbo-capitalisme est de te faire acheter très cher des biens communs que le système s’attache à bousiller depuis des années » nous confiait un ami qui a passé sa vie dans les tours de la Défense à jouer le jeu de l’ascension sociale et du surinvestissement professionnel. Comme le silence qui se monnaye dorénavant cher – en dehors peut-être des édifices religieux et des cimetières - dans un monde de bruits constants, de parasitages et d’habillages en arrière-plan ! Trouver un restaurant sans téléviseur devient de plus en plus rare. Fuir la cacophonie, privatiser l’écoute et individualiser les trajectoires fantômes - grâce au Walkman et oreillettes - est un des horizons de la société consumériste depuis 1980. Comptons sur les grands industriels pour que le monde en « métaverse » cherche vainement à réinventer ce que nous avions à portée de vie, à portée de vue. Que le robot ressemble tellement au réel, qu’il prenne des traits tellement « humains » que nous l’accepterons. Et deviendrons des robots.

Stefano Boni souligne que l’odorat et le nez sont devenus moins utile pour se déplacer et s’orienter dans l’espace depuis que l’on s’ingénie à contrôler les paysages olfactifs de nos villes et campagnes de produits industriels moins aseptisés que synthétiques. Partout, le mot d’ordre est de se débarrasser des exhalaisons organiques. Partout, l’habitude est de créer un « arrière-plan sonore permanent »[35].

Un état de sollicitation continu finit par épuiser la vigilance de celle et de celui que l’on nomme consommateur. Est-ce une visée ?

Perdre l’habitude de subir des variations climatiques ou thermiques n’est pas sans conséquence. Vivre sans bouger de son fauteuil, à des dizaines de « kilomètres du moindre morceau de véritable nature [36]», est-ce continuer de s’étioler sans cesse ? Perdre « la perception du lien de l’homme avec l’univers d’action dans lequel ses très lointains ancêtres puisaient leur raison d’exister                  et d’agir » ?

 

Stefano Boni a aussi très bien montré aussi qu’avec la somme d’expériences vécues reconfigurées par la technologie, pour plus de confort, de détente physique, de facilité d’utilisation des objets, de résultats rapides, c’est bien à un appauvrissement de notre expérience sensible auquel nous assistons.

Sombre, Stefano Boni a même écrit : « l’arrivée d’Homo confort marque un tournant hédoniste qui était jusqu’ici impensable. En effet, il se rattache tout d’abord à une technique de soi basique, immanente et généralisée, qui repose sur le relâchement plutôt que sur la discipline, et qui tend vers un apaisement des sens » [37].

 

 

David Lambert : Le sociologue Alain Touraine, il y a plus de trente ans, écrivait que « notre culture est celle de l’instantané et de l’ubiquité. La formidable extension de nos informations est payée par la perte de la profondeur historique ». Olivier Roy, dans son ouvrage L’Aplatissement du monde, écrit que « nous sommes dans un univers plus performatif que jamais, où dire c’est faire » [38]. Le monde de la déclaration remplace-t-il celui de l’action ?

 

 

Ces intellectuels ont raison. L’écran, quel qu’il soit, est vraiment devenu la tisane des yeux, pour reprendre les mots de Pascal Bruckner [39]. Et cet écran, partout, tout le temps, participe de notre rapport contrarié à la frustration, comme l’illustrent le boom des livraisons à domicile. « 44% des Français disent avoir de plus en plus de mal à patienter avant d’obtenir quelque chose, dont 53% des 25-34 ans » [40] et le nombre d’incivilités, notamment sur les routes, est en forte hausse.

Quand le marché s’étend à tous les segments de vie, le transcendant s’éclipse et le sacré s’envole pour les cours de bourse [41]. Et beaucoup de nos contemporains ont bien compris que quand la production - comme la consommation - ne sont plus organisées autour de la famille et de relations proches de voisinage, la marche du capitalisme, des paysans aux citadins, peut se lire comme une marche vers toujours plus d’individualisme, d’anonymat et d’immédiateté [42]. Une évolution qui réclame un contre-pouvoir.

 

Cette accélération amplifie une colonisation de nos mondes vécus par les normes marchandes. Un capitalisme intériorisé. On fait des « points agendas » avec son épouse ou ses enfants. On parle, tous les jours, et depuis bien des années, de « travail ménager » mais aussi de « travail » de deuil. La dispute avec un être aimé devient un « travail relationnel ». Chaque fois que nos contemporains veulent insister sur le sérieux de leur activité, ils ont le mot " travail" aux lèvres. Or la roue tourne et la critique s’amplifie face à une société de « désolidarisation générale ». Car les travailleurs salariés continuent de déserter les syndicats, les managers les organisations patronales. La loi serait plutôt celle du chacun pour soi. Les intérêts ne s’agrègent plus. Et le travailleur asiatique à bas prix, le plombier polonais ou le plongeur malien en arrière-cuisine concentrent les critiques, le retraité devient l'adversaire naturel de tous les cotisants, le malade l'ennemi de tous les assurés sociaux…

La crise sanitaire a souligné cet écart entre le but de toute l'organisation du travail, et plus largement de la société, de son Etat et de son gouvernement, à savoir la satisfaction première des besoins de toutes et tous, et non l'augmentation infinie de l'argent pour l'argent. Cette crise a pu souligner que les personnes les moins bien payées étaient parmi les plus essentielles à la survie de notre société, par leur travail attentif, la main qu’elles tendent à un patient esseulé, l’éducation qu’elles transmettent à nos jeunes, les colis qu’elles transportent, les personnes âgées qu’elles portent... Cette crise a aussi montré́ qu’il était parfaitement possible de réduire la pollution, de considérer les produits comme produits autrement qu’en tant que marchandises et surtout urgent de débloquer des milliards d’euros d’un étau budgétaire pour un monde souvent marginalisé de donneurs et de receveurs de soins, pour toutes ces activités qui se préoccupent de l’autre. « Construire des maisons ou fabriquer des mines antipersonnel, imprimer des livres ou cultiver des tomates transgéniques qui rendent les hommes malades, empoisonner l'air ou "seulement" faire disparaître le goût : tout cela importe peu, tant que, d'une manière ou d'une autre, la marchandise se transforme en argent et l'argent de nouveau en travail » [43].

 

 

David Lambert : Vos propos semblent défendre l’idée que nous vivons au-dessus de nos moyens psychiques, que nous sommes bombardés de signes et d’informations, que s’amplifie un besoin de reprendre une forme de maitrise sur le cours des choses en télétravaillant, en déménageant, en marchant dans la nature, en se reliant au monde…

 

 

Parce que la crise sanitaire a été ce moment paroxystique où l’enchaînement des informations les plus sombres a fini par provoquer un sentiment d’irréalité, nous conduisant à douter de tout et à prendre l’habitude de faire avec deux éléments cognitifs discordants. Le monde a perdu de sa crédibilité !

 

 

David Lambert : Gérald Bronner évoque aussi ce désir d’emprise face à une réalité quotidienne qui nous échappe : « la division du travail qui, par la spécialisation qu’elle implique, nous rend directement dépendants des autres, la mondialisation des échanges qui fragilise les décisions locales ou encore le développement de la technologie qui fait de notre environnement un univers de plus en plus opaque (la lumière s’allume, oui, mais pourquoi exactement ? L’ordinateur « m’obéit », mais selon quels processus ?) » [44]. La solution est-elle un retour en arrière ?

 

Absolument pas. La visée interculturaliste que nous défendons, dans nos livres, coachings et formations, est équilibration, non celle d’un repli.

Regarder en arrière, vers les joies supposées de la jeunesse qui s’est évanouie, revient à se tromper soi-même car selon notre âge, les  « plus belles années » appartiennent à un passé de plus en plus lointain et finit par toucher toutes les années ! Nos plus belles années, il faudrait se convaincre qu’on les a devant nous sinon nos contemporains finiront par préférer de ne pas grandir !

Avec Michel Sauquet, Evalde Mutabazi et quelques autres, nous défendons un projet de société interculturelle qui place, au centre de sa dynamique, la rencontre comme régime de vérité, et qui, précisément, est à refonder.

« On ne naît pas humain, on le devient » écrit Erasme et les principes même d’une autorité légitime, apprenante, sont à clarifier, mais sans recourir au chef qui étouffe, au Père qui écrase, à celui qui sait et finit par ne plus écouter, à celui qui impose sa loi sans capacité à la remettre perpétuellement en discussion et même en cause...

C’est la relation humaine, et plus encore la rencontre, qui est le socle de toute expérience féconde sur cette Terre. C’est par l’autre que le sujet entre vraiment dans l’existence.

Le capitalisme le plus débridé, celui du bien-être cotonneux et de l’atrophie de nos sens, nous condamne pour une large majorité au côte-à-côte multiculturel (chacun dans son couloir, chacun dans son silo) et pour une minorité aisée à l’aporie transculturelle. Le contraire de ce que nous appelons de nos vœux.

Transculturel, un monde où la figure du « consommateur-acheteur » s’affirme comme élément anthropologique majeur de nos temps présents globalisés [45]. Face à cela, l’interculturel revient aussi, selon nous, à se demander comment recréer une communauté de destin et une transcendance dans l’immanence moderne. Christopher Lasch a raison d’écrire que « le problème de notre société n’est pas seulement que les riches ont trop d’argent mais que leur argent les isole, beaucoup plus que par le passé, de la vie commune »[46].

 

 

David Lambert : Pour conclure ce billet, on vous sait très attachés aux thématiques de l'organisation apprenante, vous les considérez comme une voie souhaitable pour l'entreprise, pouvez-vous en développer ce qui en fait la force selon vous ?

 

 

Nous l'avons vu, s'il y bien une chose qui ne change pas, c'est que tout change tout le temps ...et de plus en plus vite ! Et autrement ne veut pas dire plus mal !

Selon Peter Senge, une organisation apprenante est "un endroit où les personnes réalisent à chaque instant comment elles créent leur propre réalitéUne organisation qui développe en permanence sa capacité à créer son futur." [47]  Nous pensons comme lui qu'au-delà de son savoir-faire existant, ses brevets, sa notoriété, ses capacités financières… son seul avantage compétitif à long terme repose sur sa capacité, donc celle de toutes celles et ceux qui la compose, à apprendre "mieux et plus vite" que les autres. Il s'agit, dès lors, de cultiver la capacité à questionner sans cesse le socle culturel des structures organisationnelles hiérarchiques devenues traditionnelles, perçues souvent comme rassurantes et comme « allant de soi », mais qui sont souvent inutilement conservatrices. Et qui protègent mal les personnes authentiquement talentueuses.

 

La crise de la Covid 19 a vu l'émergence de toute une réflexion autour du concept de résilience organisationnelle [48]qui dépasse la "gestion de crise" pour aller jusqu'à accueillir les menaces comme des opportunités de remise en question et de renforcement face à l'incertitude et aux risques inhérents à tout ce qui est "vivant".

Dans ce nouveau paradigme de l'inconnu-inconnu, les leaders doivent instaurer, promouvoir et partager un "Etat d'Esprit d'Apprenant". Ils ne sont plus censés "avoir réponse à tout" mais invités à développer leur curiosité, leur empathie, leur authenticité et leur capacité à challenger le statu quo et les modèles mentaux souvent inconscients qui forme la sacro-sainte "culture d'entreprise".

 

C’est ce défi que Satya Nadella a décidé de relever en 2014 lorsqu'il est devenu le troisième CEO du géant Microsoft, alors au creux de la vague tant sur le plan de l’innovation que des résultats financiers [49]. Fortement inspiré par les recherches du Professeur en psychologie sociale à Stanford, Carol Dweck sur « l’état d’esprit de développement » [50] et plus particulièrement le rapport à l'innovation, donc à l’échec. Conscient que la culture Microsoft du "tous contre tous" était devenue trop sclérosée, suffisante et conservatrice parce que dominée par la peur d’échouer et d’être jugé, ; il invite tous ses managers dans un premier temps, puis l'ensemble des 180 000 collaborateurs dans le monde, à développer l’empathie et l’humilité de « ne pas savoir… mais d'apprendre sans cesse... » Neuf ans plus tard, les résultats sont là avec une performance exceptionnelle qui se traduit dans les chiffres mais qui s'accompagne surtout d'un nouvel "état d'esprit".

 

Nous pourrions ajouter, qu’à notre sens, organisation apprenante et temps de plaisir en organisation sont associés, même s’ils semblent souvent menacés. Que le « plaisir organique », qui apparaît naturellement, de manière intrinsèque et inhérente à la vie du travail en équipe suscite des émotions positives de joie, d’amusement et même de légèreté qui sont essentiels à nos existences. Comment les préserver quand notre espace temporel se contracte à mesure que s’accroissent les zooms, les teams et les skypes ?

La simple idée de mettre à l’agenda un « moment de plaisir » est suffisante pour annihiler l’effet positif recherché soulignent G.N. Tonietto et S. A. Malkoc. Un lien intéressant est à faire apparemment entre les « employés remarquables » et la capacité à éprouver de la joie au travail [51].

 

David Lambert : Le modèle de l’organisation apprenante améliore aussi les conditions de travail, diminue les effets négatifs du stress, augmente le sentiment d’être utile aux autres et à la société environnante par son travail…

 

Un euro investi dans le domaine de la Qualité de Vie au Travail en rapporte quatre en surcroît de productivité et tout commence par un accueil et une intégration réussis !

Le développement du concept d’organisation apprenante consacre un glissement d’une « logique des facteurs » technico-économiques qui structurait historiquement la pensée en gestion, vers une « logique des acteurs » mettant l’accent sur les phénomènes d’apprentissage, de formulation d’objectifs clairs et partagés, de haut niveau de participation des membres de l’organisation aux décisions, d’apprentissages interentreprises, comme le développement de réseaux professionnels et de communautés de pratiques .

Edgar Morin, en précurseur, a su souligner qu’une organisation qui n’aurait que des libertés, et très peu d’ordre, se désintégrerait « à moins qu’il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres ».

L’organisation apprenante[52] consacre la résolution de problèmes complexes par une autonomie accrue, un travail en équipe pluridisciplinaires et la conviction qu’il y a une intelligence immanente à la vie.

Ceci doit ouvrir la voie à une augmentation des capacités d’apprentissage des salariés en continu, au développement des compétences et à davantage de confiance à l’égard du management de proximité.

Ceci doit surtout aider à combattre les machines, les tableaux de bord, les critères de mesure et autres processus qui visent au froid contrôle et nous déshumanisent.

 

[1] : Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », 11/11/2022, Rapport Fondation Jean Jaurès.

[2] : Renaud Sainsaulieu, L’identité au travail, PFNSP, 1977.

[3] : Ce lundi-là, Paroles de Jean-Michel Rivat, Michel Delpech, Musique de Roland Vincent, 1976.

[4] : Eric Albert et allii, Pourquoi j’irais travailler ?, Eyrolles, 2003, p. 77.

[5] : Eric Albert et allii, Pourquoi j’irais travailler ?, Eyrolles, 2003, p. 87.

[6] : Alain Eraly, Une démocratie sans autorité ?, Eres, 2019.

[7] : La machine néolibérale qui tourne à plein régime a une capacité redoutable puisqu’elle a réussi à invisibiliser le pouvoir. Une PME qui fonctionne bien, c’est l’inverse ! Notre « logiciel » de cinquantenaire est hiérarchique. Cela n’est pas facile pour quelqu’un de notre génération, élevé dans l’idée de progrès, de raison, de possibilité d’un avenir meilleur de se casser les « os » de la tête ! On se disputait rudement, parfois même physiquement, sur la nature de cet avenir, mais il était acquis qu’il serait meilleur.

« L’idée selon laquelle il faudrait passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses, constitue une transgression qui ne me semble pas admissible pour les communautés humaines » soulignent Stéphane Rozès et Arnaud Benedetti (Chaos - Essai sur les imaginaires des peuples, Editions du Cerf, 2022, p. 155).

[8] : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles : du renoncement au monde, Grasset, p. 141.

[9] : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles : du renoncement au monde, Grasset, p. 140.

[10] : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles : du renoncement au monde, Grasset, p. 140.

[11] : Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux, Editions du Seuil, 2021, p. 387.

[12] : On apprend dans un article du 24 mars 2023 sur le site Usbek & Rica que « le tangping (littéralement « s’allonger à plat ») qualifie une forme de protestation somnolente. Originellement plus politique – pour dénoncer un régime dans lequel les jeunes ne se reconnaissent plus – le tangping est parti à l’assaut des réseaux sociaux, où l’on s’affiche allongé, pour traduire une forme d’exaspération face à la surcharge de travail ».

[13] : Michel Sauquet et Philippe Pierre, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022.

[14] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 176.

[15] : Et aussi une mise à distance des éléments organiques qui sont tenus pour « sales » (miettes, restes végétaux, déjections, partie du corps…). Georg Simmel pointait déjà, en 1900, « l’importance pour la culture sociale du fait que le raffinement de la civilisation entraîne de toute évidence une baisse de la véritable acuité des sens et en revanche une hausse de leur capacité au plaisir et au déplaisir. Et je crois en fait que la sensibilité accrue de ce côté apporte dans l’ensemble bien plus de souffrances et de répulsions que de joies et d’attractions », Sociologie, PUF, 1999, p. 638.

[16] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 65.

[17] : Aliocha Wald Lasowski, Edouard Glissant. Déchiffrer le monde, Bayard, 2021, p. 20.

[18] : Entretien avec Patrick Chamoiseau, « Le virus a tout bouleversé, mais nos imaginaires sont restés pour ainsi dire sidérés », L’Humanité, Vendredi 17 Avril 2020.

[19] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 70.

[20] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 93.

[21] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 73

[22] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 74.

[23] : Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », 11/11/2022, Rapport Fondation Jean Jaurès.

[24] : Selon l’expression de Raoul Vaneigem.

[25] : Le top 10 de LinkedIn des métiers les plus recherchés en 2022 : délégué à la protection des données, ingénieur en intelligence artificielle, agent immobilier, customer success specialist, community manager, ingénieur en fiabilité de site (SRE, Site Reliability Engineering), expert en cybersécurité, ingénieur DevOps, ingénieur data, data scientist…

[26] : Appel Courage fuyons.

[27] : Appel Courage fuyons.

[28] : Jean. Paul Sartre, Situations X, Gallimard, 1976.

[29] : Bob Black, The Abolition of Work, 1985.

[30] : "Je ne voulais pas que ma vie soit réglée d’avance ou décidée par d’autres. Si, à six heures du matin, j’avais envie de faire l’amour, je voulais prendre le temps de le faire sans regarder ma montre. Je voulais vivre sans heure, considérant que la première contrainte de l’homme a vu le jour à l’instant où il s’est mis à calculer le temps. Toutes les phrases usuelles de la vie courante me résonnaient dans la tête : Pas le temps de... ! Arriver à temps... ! Gagner du temps... ! Perdre son temps... ! Moi, je voulais avoir "le temps de vivre" et la seule façon d’y arriver était de ne pas en être l’esclave. Je savais l’irrationalisme de ma théorie, qui était inapplicable pour fonder une société. Mais qu’était-elle, cette société, avec ses beaux principes et ses lois ?" Ces mots sont de Jacques Mesrine (cité par le Manifeste des chômeurs heureux).

[31] : Bob Black, Manifeste Travailler, moi ? Jamais ! et auteur de The Abolition of Work, 1985.

[32] : Allan Bloom livre ce jugement sévère : « l’avènement de la radio, puis celui de la télévision, ont mis à mal et presque réduit à néant l’intimité du foyer, la vraie intimité américaine, l’intimité qui permettait le développement d’une vie plus élevée et plus indépendante au sein de la société démocratique. Ayant ainsi perdu la maîtrise de l’ambiance de leur foyer, les parents ont aussi perdu la volonté de le diriger. Désormais, c’est l’autorité électronique qui détermine quels seront les divertissements de la famille et sert de critère à ce qui est intellectuellement respectable » (L’âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale, Les Belles Lettres, p. 67).

[33] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 129.

[34] : Michel Serres, Petite poucette, Le Pommier, 2012.

[35] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 91.

[36] : André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, Albin Michel, 1964.

[37] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022, p. 150.

[38] : Olivier Roy, L'Aplatissement du monde, Le Seuil, 2022, p. 55.

[39] : Pascal Bruckner, Le sacre des pantoufles : du renoncement au monde, Grasset, p. 99.

[40] : Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », 11/11/2022, Rapport Fondation Jean Jaurès.

[41] : On lit dans le Manifeste Krisis (de Nuremberg), Manifeste explicitement « contre le travail », : « Le jogger remplace la pointeuse par le chronomètre, le turbin connaît sa renaissance post-moderne dans les clubs de gym rutilants et, au volant de leurs voitures, les vacanciers avalent du kilomètre comme s'il s'agissait d'accomplir la performance annuelle d'un routier. Même le sexe suit les normes industrielles de la sexologie et obéit à la logique concurrentielle des vantardises de talk- shows ».

[42] : Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte, Editions de l’Echappée, 2022.

[43] : Groupe Krisis (de Nuremberg), Manifeste contre le travail.

[44] : Gérald Bronner, Les origines, Autrement, 2022, p. 140.

[45] : S’est amplifiée une « ville à trois vitesses » qui oppose ceux qui sont immobilisés (les relégués dans des ghettos ou des banlieues de plus en plus éloignées), ceux qui s’épuisent dans une mobilité excessive (les périurbains qui habitent les lotissements pavillonnaires et qui doivent chaque jour se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail dans le centre-ville) et les hypermobiles de la mondialisation, qui jouissent de la ville sans l’habiter vraiment parce que leur existence se déroule désormais dans l’ubiquité de la « ville globale » (Philippe Pierre et Michel Sauquet, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022).

[46] : Christopher Lasch, La révolte des élites, Flammarion, 1995.

[47] : Peter Senge, The fifth discipline. Measuring business excellence, 1997, 1(3), 46-51.

[48] : Guy Koninckx et Gilles Teneau, Résilience organisationnelle : rebondir face aux turbulences, De Boeck Supérieur, 2010.

[49] : Satya Nadella, Hit refresh, Bentang Pustaka, 2018.

[50] : Carol S. Dweck, Mindset: The new psychology of success, Random house, 2006.

[51] : Gabriela N. Tonietto, G. N., et Selin. A. Malkoc, « The calendar mindset: Scheduling takes the fun out and puts the work in », Journal of Marketing Research, vol. 53, n° 6, mars 2016, p. 922-936.

[52] : Béatrice Arnaud, Eric Mellet et Philippe Pierre, Chapitre « L’entreprise apprenante », Michel Barabel et allii, Grand Livre de la formation, Dunod, 3ème édition, 2020.

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